dimanche 14 juin 2009

Visiteurs

Une visiteuse

Nous avons eu des invités. Ils nous ont apporté leurs sourires, un peu d’air frais, des nouvelles de la famille et des amis. Ils nous ont aussi apporté leur regard neuf sur cette petite île où rien n’est plus facile que de tourner en rond.

Un visiteur

En fait, la vie entière se prête assez bien à la circumambulation, mais c’est encore plus sensible dans une petite île. Même dans un pays aussi grand que la Chine, on ressent nettement la nécessité de ne pas tourner en rond. On raconte qu’un des premiers empereurs de Chine, un de ces empereurs qui se perdent dans la nuit du néolithique chinois et dont personne ne sait s’ils ont réellement existé, un de ces vieux empereurs mythiques avait fait graver sur sa baignoire de bronze la sentence suivante : « renouvelle-toi chaque jour ».

Minaret de la mosquée de Tsingoni

Nous avons donc eu de la visite. Cela nous a permis de revoir, sous un jour nouveau, pendant trois bonnes semaines, ce que nous avons mis un an à découvrir. Nous en avons même profité pour découvrir des endroits qui nous étaient encore inconnus.

Maki et croissant de lune

Nos visiteurs nous ont apporté leur soif de découverte et leur part de chance, c’est avec eux que nous avons pu assister par hasard à la ruée vers la mer des petites tortues. Ils ont pris un nombre prodigieux de photos émerveillées. Toutes les photos que l’on ne prend pas d’habitude parce qu’on est là pour quatre ans et qu’on aura le temps de les prendre un de ces jours, mais qu’on ne prendra sans doute jamais.


Ils ont fait de belles cartes postales, c'est difficile de ne pas en faire ici, mais ils ont aussi photographié les détails anodins qui font le charme de la vie quotidienne, ces petites choses que l'on rencontre en se promenant et qui nous étonnent ou nous font sourire :


Des fruits curieux, une araignée comme une épée de Damoclès au-dessus du chemin, un panneau publicitaire exotique ainsi qu’une foule d’autres détails que j’aimerais vous faire découvrir mais que je garde sous la main pour un autre jour.

Il est trop tard pour gagner le zébu, c'était jusqu'au cinq avril.

dimanche 7 juin 2009

Tortues

Tortue verte sur l'herbier de N'gouja

À Mayotte on trouve deux espèces de tortues marines. La tortue imbriquée, relativement rare, et la tortue verte. Les jeunes tortues vertes que vous avez pu voir courir sur le sable, gagnent rapidement le large et y vivent quelques années, près de la surface, en se nourrissant d'algues, de plancton et de méduses. Quand elles ont atteint une taille respectable, elle regagnent les abords du rivage et changent de régime alimentaire. Elles ne se nourrissent alors que d'herbes marines qu'elles broutent sur le platier. Ces herbes sont peu nourrissantes, si bien que les tortues passent beaucoup de temps à manger. C'est du moins ce que j'ai cru comprendre en lisant Univers Maoré, la revue des Naturalistes de Mayotte.

Les grosses tortues vertes que l'on voit paître sur l'herbier de N'gouja mesurent plus d'un mètre de long, parfois un mètre vingt. Elles sont suivies et étudiées avec soin, c'est pourquoi on les voit toujours avec une bague. Leurs principales plages de ponte sont surveillées pour limiter le braconnage qui fait malheureusement de gros dégâts.

Je n'avais encore jamais filmé de tortues. J'ai prêté mon masque-caméra à Fabien qui est en vacances chez nous avec Julie. Il a pris de très belles images que nous avons réussi à caler sur le troisième mouvement de la Mer de Debussy.

Tortue verte et son rémora (poisson pilote)

En cliquant ici, vous aurez un petit extrait de ce film qui sera peut-être le dernier pris avec cet appareil qui sèche en ce moment sous le ventilateur du salon car enthousiasmés par les images que nous découvrions sur l'ordinateur, nous n'avons pas fait bien attention en revissant un bouchon garantissant l'étanchéité du dispositif. Lors de la plongée suivante, l'appareil a pris l'eau.

Pour que l'appareil fonctionne à nouveau, il ne me reste plus qu'à compter sur la chance, ce qui est une très bonne chose quand il n'y a plus que ça à faire.

lundi 1 juin 2009

Éclosion


Plage de Moya, en Petite-Terre. Fin de la journée. Une journée de randonnée sur la crête qui fait le tour du Dziani Dzaha, le célèbre lac de cratère. À gauche, l’océan avec toute sa palette bleue, à droite,immobile, l’eau verte du lac.


La balade s’achève sur la plage. La mer est trop basse pour que nous puissions espérer voir les tortues qui doivent être plus au large. Trop basse même pour nous qui ne pouvons que barboter dans une eau qui n’est pas si chaude que ça. Le soleil aussi est bas. Nous ramassons nos affaires et nous apprêtons à regagner la voiture.

En haut de la plage, un petit attroupement. Les gens regardent par terre, ils ont l’air de prendre des photos et appellent leurs enfants ou leurs amis restés plus loin sur le sable. Très vite tout le monde s’approche, une vingtaine de baigneurs attardés. À nos pieds, une procession de petite tortues qui dévalent la plage aussi vite qu’elles le peuvent avec leurs petites nageoires.
Il y en a peut-être une centaine qui filent vers la mer. Elles viennent de sortir de leurs œufs. Chaque empreinte de pied dans le sable est un fossé qu’elles franchissent dans une urgence têtue.


Pour voir quelques images de cette ruée vers la mer, il faut cliquer ici.

samedi 16 mai 2009

Des Cannibales

Michel de Montaigne 1533-1592

J’avais une fois évoqué Montaigne dont les Essais, qui touchent à tous les sujets et sautent souvent du coq à l’âne, me font penser à nos blogs modernes. J’aime bien Montaigne. En général, j’aime bien les auteurs anciens. Je ne connais pas de plus grand luxe que celui de prendre le temps de lire un texte ancien, surtout si le texte en question relève de la littérature de voyage ou s’il décrit des peuples ou des usages disparus.

Le chapitre XXX du livre I des Essais est intitulé : Des Cannibales. Peut-on imaginer plus affreux, plus sauvage et plus effrayant qu’un cannibale ? Pourtant Montaigne les peint sous un jour très avantageux et les trouve bien moins barbares que le bon peuple de France qu'il a vu se déchirer, au sens propre et avec des raffinements de cruauté, au cours des guerres de religion. J’ai découvert dans cet essai que les Cannibales, qui semblent consacrer beaucoup de temps à la danse, connaissaient le bâton rythmique cher à André Schaeffner dont j’ai parlé dans l’article sur les masheve. Cet instrument est la version cannibale du bâton de chef d’orchestre qui allait coûter la vie à Lully. Montaigne le décrit ainsi : "des grandes cannes ouvertes par un bout, par le son desquelles ils soustiennent la cadance en leur dance."

Montaigne, qui n’est jamais allé en Amérique, nous présente son informateur.

« Cet homme que j'avoy, estoit homme simple et grossier, qui est une condition propre à rendre veritable tesmoignage : Car les fines gens remarquent bien plus curieusement, et plus de choses, mais ils les glosent : et pour faire valoir leur interpretation, et la persuader, ils ne se peuvent garder d'alterer un peu l'Histoire : Ils ne vous representent jamais les choses pures ; ils les inclinent et masquent selon le visage qu'ils leur ont veu : et pour donner credit à leur jugement, et vous y attirer, prestent volontiers de ce costé là à la matiere, l'allongent et l'amplifient. Ou il faut un homme tres-fidelle, ou si simple, qu'il n'ait pas dequoy bastir et donner de la vray-semblance à des inventions fauces ; et qui n'ait rien espousé. Le mien estoit tel : et outre cela il m'a faict voir à diverses fois plusieurs mattelots et marchans, qu'il avoit cogneuz en ce voyage. »

Il faudrait donc n’avoir « rien espousé » pour « rendre véritable tesmoignage ». Hélas, je crains bien d’avoir épousé ici trop de choses pour être utile en ce domaine. Ma vie, en fait, n’est qu’une longue suite d’épousailles. En premier lieu j’ai épousé le beau côté des choses et leur côté drôle. Je sais bien qu’il en est un vilain, un affreux, un cruel, un atroce, un épouvantable, c’est vrai, mais je n’ai ni le goût ni le talent de m’en occuper.

C’est pourquoi, pour avoir une vision moins partiale et plus complète de la vie à Mayotte je vous renvoie régulièrement à la Lettre de Malango qui me semble faire honnêtement son travail journalistique. Il y a également un nouveau venu qui s’appelle Upanga qui donne, en ligne, ses grands titres.

Dans un autre genre, il est paru dernièrement une BD intitulée Droit du sol de Charles Masson (Casterman). Je ne l’ai pas encore lue. Pour ceux qui aiment les BD réalistes, ça doit être d’un tout autre tonneau que mes reportages surréalistes sur les mbiwi ou le Wadaha.

Droit du sol de Charles Masson

Il est vrai que la vie peut être très dure à Mayotte quand on est étranger. Même pourvu de papiers en règle on est soumis à mille tracasseries inutiles. J’ai vu, par exemple, un employé de la poste faire retirer ses lunettes à un client pour s’assurer qu’il ressemblait bien à la photo qu’il y avait sur son passeport. Ce zèle imbécile qui dépasse souvent le cadre de la légalité semble être la règle. Dès qu’il s’agit d’un étranger, le moindre agent de n’importe quelle administration devient enquêteur. J’ai cependant connu le même zèle imbécile en métropole, de façon peut-être plus ponctuelle et peut-être un peu moins systématique.

Seulement ici, il y a les mbiwi. Quelle que soit la rudesse avec laquelle on a pu vous traiter ici ou là dans le dédale paranoïaque d’une administration ubuesque, il suffit d’assister à une séance de mbiwi pour retrouver le sourire. Je n’ai rien connu de tel en métropole, sauf peut-être les concerts de ZORéOL que j’ai le plaisir de saluer ici.

dimanche 26 avril 2009

La tortue


C’était la nuit, une nuit de pleine lune. Nous étions sur la plage de Moya, une de ces deux plages magnifiques en forme de cirque. Il y avait là vingt-et-un enfants et quatre adultes mystérieusement silencieux et attentifs, formant une masse sombre sur le sable couleur de lune. Le garde des tortues nous avait dit que nous devions ressembler à un rocher immobile pour ne pas effrayer la tortue qui s’apprêtait à pondre.

Elle était à une petite dizaine de mètres de nous. Nous la voyions de profil. C’était une grosse tortue verte qui faisait plus d’un mètre de long. Elle avait commencé à creuser. On entendait, par-dessus le bruissement tranquille de la mer, le bruit sec du sable qu’elle projetait à coup de nageoires. Le garde avait dit qu’il nous faudrait attendre peut-être quarante minutes avant de pouvoir nous approcher pour voir les œufs.

Les enfants commençaient à donner de silencieux signes de fatigue. Certains somnolaient, assis en tailleur, la tête entre les genoux. Je leur faisais signe de s’allonger, comme ils pouvaient, plus ou moins en chien de fusil. Ça ne leur plaisait pas car ils voulaient voir. Un par un, cependant, ils ont fini par céder. Un par un jusqu’au dernier. Jusqu’au plus remuant de la classe, celui dont le père, fâché, est venu un jour chercher en classe son téléphone portable que le gamin lui avait chapardé (et que je venais de confisquer), celui à qui, hier encore, j’ai confisqué un briquet qui faisait une longue flamme, celui dont je trouve qu’il ressemble à un bouchon de champagne et qui, en sport, saute en longueur comme un diable saute de sa boîte. Même lui a cédé. Après une longue lutte silencieuse, il a posé la tête sur le sable et s’est endormi à l’instant. Fatou qui nous accompagnait s’est allongée aussi ainsi que notre autre accompagnatrice. Le garde des tortues s’était éloigné, hors de portée de voix, pour régler par téléphone ses affaires de garde des tortues.

C’était la nuit. J’étais assis sur la plage au milieu d’une grappe d’enfants endormis. Nous étions quatre à veiller : La mer, la lune, la tortue et moi.

Il m’a fallu courir au bout du monde après plus de vingt ans de carrière pour en arriver là.

Quand le garde est revenu, la tortue avait été plus rapide que ce qui avait été prévu. Elle avait déjà recouvert ses œufs. Nous avons réveillé les enfants pour qu’ils voient la tortue de près. Les photos sans flash ne donnaient absolument rien. Le garde m’a dit d’en faire tout de même une avec flash pour que les enfants gardent un souvenir de cette nuit.


C’est vrai que le flash peut effrayer une autre tortue sur le point d’accoster. Mais c’est vrai aussi qu’on braconne entre 1000 et 2000 tortues par an à Mayotte et qu’il est important de sensibiliser les enfants.

lundi 13 avril 2009

Out of Africa

Je viens de finir La ferme africaine de Karen Blixen. J'avais ce livre depuis de nombreuses années, peut-être vingt ans, mais je ne l'avais encore jamais lu, pas même ouvert.

J'avais aimé Out of Africa, le film que Sidney Pollack en avait tiré, avec Meryl Streep et Robert Redford. Je savais le film assez librement adapté du récit autobiographique et je craignais une confrontation douloureuse. J'ai néanmoins emporté le bouquin à Mayotte avec tout mon rayon africain, le seul rayon que j'aie déménagé en entier.


L'histoire d'amour qui est au centre du film n'est pas évoquée dans le livre.
On la devine simplement.

J'ai malheureusement, ici, peu de temps pour les lectures gratuites. Je l'ai donc lu par petites fractions. Je l'ai siroté chaque fois que je le pouvais. Je l'avais à portée de main pendant trois ou quatre mois et je l'ai grignoté sans me presser. C'est un des rares plaisirs que j'ai pu m'accorder sans courir.

Le livre se prête à ce mode de lecture. Les chapitres sont courts et relativement indépendants les uns des autres. Il y a un fil chronologique le long duquel on découvre des tranches de vie, des paysages fascinants hantés par une faune mystérieuse, aussi bien animale qu'humaine. On y croise des peuples à la dérive, des aventuriers de passage et toutes sortes de personnages poursuivant toutes sortes de mirages. Un des thèmes récurrents est la rencontre des mondes noirs et blancs.

C'est merveilleusement écrit. Si merveilleusement que lorsque Hemingway reçut le prix Nobel, il déclara qu'il regrettait qu'on ne l'ait pas plutôt attribué à Karen Blixen. Voilà une honnêteté rare et digne d'être notée.

Karen Blixen, qui devait être elle-même un sacré personnage, écrit de belle choses, parfois lyriques, souvent poétiques. Elle a un sens très aigu de la relativité des points de vue, ce qui n'est pas donné à tout le monde, surtout dans un contexte colonial. Je vous dis tout cela juste pour que vous puissiez situer cette citation que je trouve lumineuse, pour ne pas dire prophétique :

Nous n'aurons peut-être pas de plus grand souci que de nous exercer sur un tam-tam (...)

Elle dit ceci, en parlant des européens, dans un passage dans lequel elle parle des conséquences du télescopage des cultures qui amène les Africains à assimiler la culture occidentale tandis que les occidentaux mesurent ce qu'ils ont perdu pour atteindre leur modernité.

Nous n'aurons peut-être pas de plus grand souci que de nous exercer sur un tam-tam (...)

Elle ne jouait pas de tam-tam mais elle pressentait, en 1937, le prochain et salutaire déferlement des tam-tam sur le monde occidental.

En cliquant ici, vous verrez qu'il peut être utile de s'exercer sur un tam-tam, surtout si l'on essaie de ne pas trop en faire un souci.

dimanche 5 avril 2009

Le Tari


Tari, modèle féminin

C’est un tambour sur cadre à une seule membrane originaire du monde arabo-persan. Tambour en forme de lune ou même tambour-lune, c’est le cousin des tambours des chamanes amérindiens ou sibériens. Comme eux il entre dans des rituels visant à provoquer un état de transe.

Le même instrument vu de l'autre côté

L’objet est assez lourd et massif. Le cadre est monoxyle, il est réalisé à partir d’une rondelle de bois, une tranche de jaquier pour le modèle présenté ici. Cette tranche de bois est ensuite évidée de façon à ne conserver qu’un anneau dont la face externe est bombée. La peau de cabri est collée et boutonnée sur ce cadre au moyen de chevilles de bois.

Chevilles et boutonnières

Pour redonner vie à une peau détendue, on pousse en force une ficelle en fibre de noix de coco entre cette peau et le cadre. Cela se fait avec un tournevis ou avec le manche d’une cuiller. J’ai toujours vu, dans les occasions où l’on joue du tari, un musicien, ou une musicienne, assis à l’écart en train de bidouiller son instrument avant de reprendre place dans le groupe, l’air ravi par le fruit de ses efforts.

Tension du tari. Noter la ficelle en fibre de coco
et la cuiller, par terre, devant l'instrumentiste.


Aux Comores, le tari est joué aussi bien lors de cérémonies religieuses que dans les fêtes populaires. À Mayotte, on ne l’utilise le plus souvent que dans des cadres rituels comme le deba ou le mulidi. On le trouve aussi dans des fêtes profanes appelées tari, mais ces fêtes sont d’origine anjouanaise.

Joueuses de tari lors d'un deba à Mtsangambua

Les tari joués par les femmes sont relativement petits si bien que l’on perçoit bien l’épaisseur et l’aspect bombé du cadre. Le modèle ci-dessus mesure 26 cm de diamètre extérieur, 20 cm de diamètre intérieur et entre 7 et 8 cm d’épaisseur. Les modèles masculins sont plus grands, ils peuvent atteindre 50 cm de diamètre. On voit maintenant quelquefois des tari réalisés à partir de sections de tuyaux en PVC.

Trois grands tari et un dori lors d'un maulida shenge à Tsingoni

Quand j'aurai un peu plus de temps je mettrai en ligne deux vidéos d'où sont tirées les deux photos ci-dessus afin que vous puissiez voir comment on joue de ces instruments. Pour l'instant, je ne peux que vous renvoyer à deux messages précédents en cliquant sur les liens suivants: Deba et Tari. Vous pourrez au moins entendre les instruments.

Pour avoir des informations sur le mulidi, voici un lien vers un dossier pdf rédigé par le même auteur que les dossiers consacrés au gabusi que je vous avais déjà signalés :
http://inthegapbetween.free.fr/pierre/report-derviches/Maulidi_Ya_Homu.pdf