mercredi 26 octobre 2011

Caillassages

Le mouvement de protestation polymorphe et chaotique continue. Aujourd’hui peu de manifestants à Mamoudzou mais beaucoup de barrages partout dans l’île. J’ai pu me rendre sur mon lieu de travail qui n’est pas très loin, mais je n’ai pas fait cours faute d’étudiants. Notre directrice a sagement renvoyé les quatre ou cinq qui étaient là. De toute façon, les professeurs étaient coincés par les barrages.

Avec les jours qui passent, le climat se détériore. Un médiateur a été nommé pour faire avancer en priorité le dossier du prix de la viande tandis que grande distribution et syndicalistes se rejoignent sur le terrain glissant de la mauvaise foi obstinée. Un exemple chez les distributeurs : après force manifestations un accord avait été trouvé pour vendre les mabawa (ailes de poulets) à 19,95€ le paquet de 10 Kg. Depuis cette décision, les paquets de 10 Kg ont été retirés des rayons où l’on ne trouve plus que des paquets de 5 Kg à 14,90 €. Un exemple chez les syndicalistes maintenant, pour faire bonne mesure : Après un mois de blocage et de chiffre d’affaire nul, certaines entreprises commencent à licencier, mais c’est sans rapport avec la grève, "c’est parce que ces entreprises sont mal gérées et que leurs dirigeants n’ont pas su anticiper."

Des faits-divers sordides sont venus accentuer la méfiance qui s’installe entre les communautés. Les propos et actes à caractère raciste à l’encontre des mzoungous sont signalés ici ou là, si bien que beaucoup s’inquiètent. Certains parlent de partir, d’autres sont déjà partis et d’autres encore s’organisent en milice d’auto-défense, ce qui s’explique par le fait que très récemment, la gendarmerie a mis deux jours, du fait des barrages, pour venir constater une agression qui relève de la cour d’assise.

C’est un vent de folie, contagieux comme tous les vents de folie, qui souffle sur Mayotte. Les esprits sont échauffés. Or un esprit échauffé, ce n’est pas très malin et cela perd très vite la raison. Ainsi des amis que j’avais vus lors de la « marche blanche », des jeunes gens à mille lieues du modèle néo-colonialiste, ont frôlé un grave accident de la route en se faisant caillasser par des jeunes écervelés embusqués dans des fourrés surplombant la nationale et qui guettaient le mzoungou. Plus bête encore, ou plus criminel, la nuit dernière, une ambulance transportant une femme enceinte a été attaquée. Vitre latérale brisée sous les pierres et chauffeur blessé à la jambe. Plus bête encore, vous croyez que c’est possible ? Une centaine de jeunes d’Iloni et de Dembéni, sans doute plus, se sont affrontés à coups de pierres pendant toute une soirée. Rien à voir avec le prix des mabawa ni un quelconque racisme anti-mzoungou, juste la bêtise à l’état pur, celle qui précisément est à la base de tous les racismes, celle qui fait voir dans ceux du pâté de maisons d’à côté, les ennemis héréditaires qui ont toujours cherché à nous nuire. C’était juste un épisode d'une vieille guerre de quartiers réveillée par la folie ambiante.

Un vent de folie qui appelle donc chacun à la prudence. Ce n’est pas encore la guerre civile et loin s'en faut, mais comme je l’ai dit, les esprits sont échauffés. Il convient donc d’être prudent dans ses déplacements, prudent dans ses paroles qu’un excité pourrait mal interpréter et prudent surtout dans ses pensées afin que la folie ambiante ne s’y installe pas. En matière de folie collective, personne n’est à l’abri de la contagion.

D’autant que j’apprends que Madame Penchard qui a fait tant de dégâts avec son allocution si mal venue doit prochainement s’entretenir de la situation à Mayotte avec Messieurs Fillon et Guéant. Je n’ose pas imaginer la réaction des Mahorais si Monsieur Guéant mettait maladroitement les pieds dans le plat, comme il l’a fait dernièrement en stigmatisant les Comoriens de Marseille, dont beaucoup sont des Mahorais.

samedi 22 octobre 2011

Entre Charybde et Scylla

Grande marche à la mémoire d'Ali Anzizi (Photo Angélique)

Suite au décès d’Ali Anzizi, le préfet est intervenu mercredi soir, très ému, à la télévision. En sortant des studios de Mayotte Première, en Petite-Terre, il a été hué par la foule qui en est vite venue à lui lancer des pierres. Il a été immédiatement protégé par les forces de l’ordre dont l’intervention a déclenché la pire nuit d’insurrection que nous ayons connu. Plusieurs magasins ont été pillés et saccagés, dont le Sodicash de Petite-Terre qui a entièrement brûlé. Si bien qu’à l’heure actuelle, 40% de ce qu’on appelle des grandes surfaces, qui sont en fait le plus souvent des superettes, ont été pillées depuis le début du conflit. La gendarmerie de Petite-Terre a été elle-même attaquée.

Le lendemain, jeudi 20, c’était la grande « marche blanche » à la mémoire d’Ali Anzizi. Une marche blanche à Mayotte, ce n’est pas comme une marche silencieuse en métropole, heureusement, c’est moins lugubre. Les gens parlent. Ils disent leur indignation, ils disent leurs craintes et leurs doutes. Ils ne croient pas une seconde que les résultats de l’autopsie, attendus pour le soir, seront honnêtes. Ils parlent de la vie quotidienne devenue très compliquée et évacuent ainsi une partie de la tension qui s’est emparée des esprits. Une marche sans heurts donc, d’environ cinq mille personnes.

Recueillement sur l'ancienne place du marché à l'endroit où est tombé Anzizi (Photo Angélique)

Mais derrière la marche, des jeunes jettent de hâtifs barrages en travers de la rue. Barrages hâtifs car personne ne les tient. Sitôt dressés, sitôt abandonnés. En retournant vers ma voiture, prudemment garée assez loin. Je découvre en travers de la rue principale de Mtsapéré un 4X4 renversé sur le côté. Ce n’est pas une épave traînée au milieu de la chaussée, comme on le voit souvent, mais une bonne grosse voiture pour travailler dans les champs, sans doute l’outil de travail et la fierté d’un cultivateur mahorais.

C’est cela la jaquerie, dont je parlais dans le premier article de cette série, c’est une manifestation spectaculaire d’émotions et de sentiments violents. Ce n’est pas rationnel. C’est un grand diable fâché qui a quelque chose à dire et qui le dit bruyamment dans la langue furieuse et pleine de démesure des diables.

Vestige de barrage dans le sud

Hier soir, le procureur a rendu public le rapport du médecin légiste. La mort a été causée par un embrochement du cœur par des côtes brisées au cours d’un massage cardiaque. Personne n’y croit, mais personne n’y croyait d’avance, et l’avocat de la famille demande une contre-expertise. De toute façon, cela n’explique pas pourquoi le monsieur a eu besoin d’un massage cardiaque.

Contre toute attente, la nuit a été calme et la journée semble l’être également. Aujourd’hui, vendredi 21, les magasins sont à nouveau fermés. Avec un ami, nous sommes allés rendre visite à d’autres amis dans le sud. Nous avons trouvé de nombreux vestiges de barrages sur la route. On peut passer en se faufilant.

Vestige de barrage dans le sud

L’impression que j’ai, après vingt-cinq jours de conflit, c’est que personne ne sait où l’on va. Aucune date de négociation n’est prévue. Le collectif unitaire se lézarde. Les gens sont fatigués. Ils veulent un retour au calme. Mais ils ne veulent pas que l’île ait été plongée dans un tel chaos pour rien. Même si beaucoup condamnent les formes extrêmes que prend la colère, tous trouvent cette colère légitime. S’il n’est pas apporté une réponse juste à cette crise, elle peut donner lieu à de nouvelles explosions violentes. Elle peut tout aussi bien sembler s’éteindre, minée par la disette dont on voit les premiers effets, mais il en restera alors, couvant sous les cendres, un profond ressentiment dont personne n’a rien à gagner.

mercredi 19 octobre 2011

Chaos

Dimanche 16 octobre, rond point de la barge, mannequin à l'effigie du préfet

Le Shopi dont je parlais la dernière fois a été pillé aujourd’hui. Même chose pour la SNIE de Combani où, d’après Mayotte Première, les manifestants auraient mis les gendarmes en fuite. À Malamani, dans le sud, le Sodicash qui était fermé, a été attaqué par une vingtaine de jeunes cagoulés qui ont défoncé la porte et se sont emparé de l’argent qu’ils ont trouvé sur place ainsi que des cartons de bière.

Toutes ces actions violentes qui assombrissent l’image du mouvement de protestation contre la vie chère sont éclipsées par l’information qui est tombée en début d’après-midi faisant état du décès d’un manifestant transporté à l’hôpital de Mamoudzou suite à un arrêt cardiaque. On parle de gaz lacrymogène ou de flashball. Le communiqué de la préfecture, lui, signale un malaise cardiaque et ne relève « aucune trace d'impact de grenade lacrymogène ou de flashball ». C’est peut-être vrai, mais personne n’y croira. Les manifestantes pacifiques et joyeuses de la semaine dernière chantaient déjà : « Monsieur le Préfet et la SODIFRAM sont venus avec les CRS pour nous tuer.»

Les êtres humains sont pétris de symboles, bien plus que de raison et le symbole qui est en train de prendre corps en ce moment c’est celui du martyr. C’est dans l’air, dans ce vent de folie qui s’est emparé de l’île. Tout le monde le sait. Ce n’est pas innocemment que Malango titre : « Mayotte-manifestation : premier décès. » On a vu l’ombre de ce futur premier décès poindre sur le parvis du Comité du tourisme lors de l’allocution de Madame Penchard, ministre de l’outre-mer. Cette ombre a flotté sur Mamoudzou pendant tout le weekend. Les barrages qui avaient disparu ont commencé à ressurgir un peu partout. De petits barrages ici ou là, quelques pierres, une poubelle… Puis en début de semaine, de gros barrages tenus par des militants.

FO a signé un accord de sortie de grève, mais pas les autres syndicats. Le mouvement unitaire bat de l’aile et la rue est partagée entre la faim (trois semaines de magasins fermés) et la lutte pour la dignité, avec son cortège de symboles mortifères. Le Préfet a ordonné l’ouverture des magasins sous protection policière. Cela a déclenché une double ruée des acheteurs et des manifestants voulant fermer les magasins ou piller les clients qui ressortaient. Des vivres ont ainsi été jetées par-dessus le bastingage de la barge d’ordinaire si paisible.

Madame la ministre a été interpelée aujourd’hui à l’Assemblée au sujet de la situation à Mayotte. Elle a répondu qu’elle s’est elle-même rendue à Mayotte et que si et que mi… Il faut rectifier et dire que pour bien des Mahorais, Madame la ministre, qui était attendue avec beaucoup d’espoir, ne s’est pas rendue à Mayotte, elle a tout au plus passé une journée dans la résidence du Préfet en Petite-Terre, ancien centre de l’administration coloniale, d'où elle n’a pas écouté les Mahorais et que même de là-bas, elle est repartie sous les huées.

Ce matin, en allant travailler je suis tombé sur un barrage en cours de construction. Entraîné par l’audace du conducteur qui me précédait, j’ai pu passer en mordant sur le bas-côté tandis qu’un grand échalas lançait dans ma direction un gros pneu. La voiture suivante a dû s’arrêter. Demain, pas de travail, si la route est libre, j’essaierai d’aller à la marche silencieuse à la mémoire d’Ali Anzizi, le manifestant décédé.

samedi 15 octobre 2011

L'allocution

Longue attente, face à la Petite-Terre


Mayotte a passé la journée à attendre (vendredi 14). La ministre a vu les uns et les autres, en Petite-Terre. Mayotte attendait, juste en face, en Grande-Terre, devant le Comité du tourisme.

En fin d’après-midi, j’ai vu deux fois la barge s’approcher de la jetée, hésiter, faire demi-tour et repartir vers la Petite-Terre avec ses passagers car le débarcadère était plein d’une foule qui brûlait d’aller voir ce qui se passait en Petite-Terre et où en étaient les négociations. Une foule bien trop nombreuse, bien trop houleuse pour la barge.

Les organisateurs demandaient au micro à ce qu’on laissât accoster la barge, mais les gens voulaient savoir et voulait aussi sans doute que cela se sache.

Tout le monde attendait 19 H et l’allocution de la ministre. Quand je suis arrivé sur le parvis, il y avait une danse religieuse. Un vieux bakoko qui avait remarqué que je commençais à me balancer sur la musique m’a attiré dans la danse et je me suis retrouvé les paumes des mains tournées vers le ciel et un sourire illuminé sur le visage. Je ne suis pas très regardant en matière de religion, je m’adapte facilement pourvu qu’on me tolère.

Plus tard, il y eut du m’godro diffusé sur la sono. Là aussi j’ai dansé, mais comme tout le monde, je dansais pour attendre dans la bonne humeur plutôt que dans la lourdeur palpable qui pesait sur la ville.

À 19 H il y eut l’allocution. Problèmes de sono. Les gens écoutent alors la radio sur leurs téléphones ou sur un autoradio qu’un conducteur prévenant rend audible en laissant grandes ouvertes les portes de sa voiture autour de laquelle s’agglutine un groupe attentif. Tout le monde est silencieux, grave même. Il est vite clair pour tous que la ministre n’a pas compris ce qui se passe à Mayotte. On lui réclame de la justice et elle donne des leçons et fait la charité.

J’admire la très grande retenue des Mahorais. Là où un métropolitain aurait été très explicite sur l’usage qu’elle pouvait faire des bons d’achat qu’elle proposait aux familles nécessiteuses à condition que celles-ci remplissent certaines conditions, comme s’il n’y avait pas assez de paperasserie, les Mahorais, eux, se contentent de dire dignement : « À Mayotte on est pauvre, mais on n’est pas des mendiants. »

Pour l’instant, l’île est sous le choc de cette non-compréhension. Les organisateurs, sur place et à la radio appellent les Mahorais à garder leur calme et à rentrer rapidement chez eux pour éviter des manifestations de colère. Rendez-vous est pris pour une assemblée générale demain matin devant le Comité du tourisme. Arrivé chez moi j’apprends à la radio que Shopi, un petit supermarché du centre-ville vient de subir une attaque qui a déclenché une intervention des forces de l’ordre.


vendredi 14 octobre 2011

Mayotte, jour J


Mamoudzou, 13 octobre 2011


Ce jeudi 13 octobre était attendu comme le jour « J ». Un grand jour de négociation faisant suite au retour d’une délégation de représentants du collectif contre la vie chère qui était allé à la Réunion pour s’informer des prix pratiqués là-bas. Comme s’il n’ y avait pas d’associations de consommateurs à la Réunion capables d’envoyer un mail à leurs homologues de Mayotte.

Il paraît que cette idée aussi symbolique qu’onéreuse viendrait de la préfecture qui a payé les billets d’avion. C’est à vérifier.

Pour soutenir les négociateurs, les mahorais ont réussi à monter la plus grosse manifestation jamais vue dans l’île. Taxis gratuits pour acheminer les manifestants depuis tous les villages. Barge gratuite pour ne pas se priver des Petits-terriens. Et bien sûr, pas de barrages.

La manifestation, sans débordements, fut un tel succès que pour une fois les chiffres de la police et ceux des organisateurs divergent énormément. Jusqu’à présent tout le monde s’accordaient sur quelques centaines, un millier ou un peu plus, selon les jours et en suivant une progression constante. Pour la manifestation d’hier, c’est différent, la fourchette est entre 6000 pour la police et 20 000 pour les organisateurs. Le site de Malango fait la moyenne et table sur 13 000. Je ne sais pas quel était le nombre réel, mais je peux assurer, vidéo à l’appui que le chiffre de 6000 manifestants avancé par la police est ridiculement bas. Personne n’y croit et l’on s’étonne que certains services de l’État éprouvent le besoin de se discréditer davantage.

Cette manifestation fut donc un tel succès que Marie-Luce Penchard, ministre de l’outre-mer prenait l’avion le soir même. Elle doit rencontrer aujourd’hui, une à une, toutes les parties prenantes de ce vaste problème. Personne ne sait ce qu’il sortira de cette visite ministérielle. Ce que l’on sait, c’est que Mayotte Première va battre tous les records d’audience en diffusant ce soir l’allocution de Madame la ministre.

Voici deux vidéos de cette manifestation historique.


« Maulana Ali musada »

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La première vidéo montre un groupe de femmes chantant un appel au soutien de tous les Mahorais : « Maulana Ali musada ». Maulana Ali est un nom mahorais qui représente ici tous les anonymes que l’on appelle à l’aide. Musada, c’est le système d’entraide traditionnel. Ce refrain alterne avec des interventions de solistes qui peuvent se relayer. Sur cet extrait, une soliste lance : « Nezie Bwana Purefe, arshukidzia madjesh ». « Saluez pour nous Monsieur le Préfet, il nous a mis les forces de l’ordre sur le dos. » Notez la polyrythmie des battements de mains qui produit le rythme caractéristique des mbiwi.


Le marathon de Mamoudzou contre la vie chère

Un clic sur la photo pour voir la vidéo

La seconde vidéo montre la jonction de deux groupes de manifestants au carrefour de M’tsapéré. Un groupe arrive au pas de course en scandant des formules rythmiques tandis que l’autre l’acclame.

mercredi 12 octobre 2011

Printemps mahorais



Nous revendiquons nos droits de vivre décemment
Pas plus

En ce moment cela chauffe à Mayotte. Les syndicats et des associations de consommateurs ont lancé une grève générale contre la vie chère. Ce mouvement de protestation entre dans sa troisième semaine. Les manifestants, de quelques centaines à un millier, défilent tous les jours dans Mamoudzou en veillant à ce que tous les magasins soient fermés.

La grève dont tout le monde pâtit est largement soutenue par toute la population et par les élus. C’est en fait une grosse crise sociale qui couve depuis trente ans. Cette crise, chacun l’exprime avec les moyens dont il dispose. Les plus cultivés font des discours argumentés et chiffrés : « 2 % de la population détiennent 98 % des richesses de l’île ». Les moins cultivés, souvent de jeunes enfants, font des barrages sur les routes et caillassent ou rançonnent les automobilistes.

Il y a donc simultanément une lutte syndicale assez structurée et remarquablement bon enfant, j’admire le calme et l’humour des Mahorais en ces temps de tensions, et une jacquerie qui frôle parfois la guérilla ethnique. Comme le disait, en le déplorant, ce matin à la radio Raos, troisième vice-président du Conseil Général à qui j’emprunte l’adjectif ethnique : « (Si l’État n’écoute pas les revendications légitimes des Mahorais) ce sont les mzungu qui vont s’en prendre plein la gueule ». Je cite de mémoire, il a pu dire métropolitains à la place de mzungu, ce qui est parfaitement synonyme, mais le plein la gueule est resté clair et net dans ma mémoire de mzungu qui partage tout à fait une grande partie de son analyse.

Rond-point SFR

Il semble que les affrontements violents sporadiques ont été suscités ou en tout cas exacerbés par le comportement inadapté et perçu comme provocateur de ce qu’il est convenu d’appeler les « forces de l’ordre ».

Mayotte est le territoire français où la vie est la plus chère et où les salaires sont les plus bas. C’est aussi très certainement le département le moins développé pour ne pas dire le plus laissé à l’abandon. Cela fait plus de trente ans que cela dure, trente ans que les Mahorais ont voté pour intégrer la République française alors que les trois autres îles des Comores choisissaient l’indépendance. Trente ans que l’État français leur a fait miroiter le statut de département, trente ans qu’ils vivent dans un cadre juridique et social au rabais et on leur dit qu’il faudra attendre encore vingt ans pour que la situation se normalise, qu’ils toucheront, par exemple, l’an prochain le RSA à 25% de ce qu’il est en métropole alors qu’ici la vie est bien plus chère qu’en métropole et le chômage plus important. Bref, trente ans qu’on se fout de leur gueule, s’il faut dire les choses un peu crûment.

Si l'on pense que j'exagère, il suffit de venir à Mayotte constater l'état des infrastructures. En trente ans, on pouvait certainement faire beaucoup mieux.

Alors, si l’on n’est pas très cultivé et qu’on ne sait pas faire la différence entre l’État français et le mzungu qui passe dans sa voiture, on peut être tenté de lancer une pierre sur la voiture. Notez cependant que mon voisin mahorais s’est pris lui-même une pierre sur son bras tranquillement accoudé à la portière de sa voiture. Quand on n’est pas cultivé, qu’on est plutôt misérable et en colère, une voiture qui passe c’est déjà une provocation. La jacquerie, ce n'est rien d'autre que cela.

Apparemment, les tenants de l’insurrection caillasseuse écoutent depuis hier les appels au calme des syndicalistes et ont levé les barrages de façon à ce que le plus grand nombre puisse se rendre à la manifestation quotidienne. Dans ce cadre, les leaders syndicaux tentent de canaliser les énergies pour éviter les dérapages douteux. Ils s'en sortent plutôt bien. Même chose à la radio où les journalistes de Mayotte Première rappellent aux auditeurs enflammés les règles de la communication et du débat public tel que les fixe la Loi.

Côté manifestations, celle d’aujourd’hui s’est très bien passée, comme celle d’hier, les « forces de l’ordre » s’étant montrées très discrètes.

Voici deux petits extraits vidéo de la manifestation d’hier.

Rond-point de la barge

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Dans ce premier extrait, au rond-point de la barge, le chant est principalement vocalique quoiqu’il me semble qu’il y ait là des phrases dont je ne perçois pas le sens. Notez la richesse de l’accompagnement dans une très grande économie de moyens : battements de mains variés, glissements de pieds, cris modulés et clameurs produisent une hétérophonie pleine de vie qui témoigne de la résolution des manifestantes et des manifestants.

Parvis du Comité du tourisme

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Dans le second extrait, sur le parvis du Comité du tourisme, les manifestantes reprennent, en en modifiant les paroles, une ancienne chanson du groupe Jimawe de Sada (années 80). Voici ces paroles repiquées sur la vidéo avec l’aide d’un ami mahorais et transcrites comme j’ai pu. Si vous pouvez améliorer l’ensemble, n’hésitez pas à me le dire. Ces paroles sont suivies d’une traduction, sans doute améliorable, elle aussi.


Zama za miziga na bunduki

wamama kana mana.

Leo tanafu zija, ziketsia wa madwamana.

Muridza ziwade, rihondro, karina mana,

au runwa, au shizaya. Mamera mwa havi ?

Mamera mwa havi ?

Wahadi raka va nao, harimwa zi biro za vote.

Mamera mwa havi ?

Bwana Purefe na Sodiframu wadugana na maCRS

wakojo urula.

Bwana Zaïdani, wanlisha mavereni maCRS

wakojo urula.

Traduction :

Au temps des canons et des fusils

les mamans n’avaient pas d’importance.

Aujourd’hui que les bénéfices (de la lutte des mamans) sont arrivés,

les responsables sont assis dessus.

Vous nous avez mises au monde, handicapées, amaigries, sans importance, travaillant dans des condition difficiles.

Vous, les maires, où êtes-vous ?

Vous, les maires, où êtes-vous ?

On s’était donné rendez-vous dans les bureaux de vote.

Vous, les maires, où êtes-vous ?

Monsieur le Préfet et la SODIFRAM

sont venus avec les CRS pour nous tuer.

Monsieur Zaïdani, ne nous laisse pas sur les routes

avec les CRS pour nous tuer.


Notons à la décharge des maires qu'ils sont venus à la manifestation, dignement ceints de l'écharpe tricolore, et se sont fait molester par les gardes mobiles, apparemment sans raison. En tout cas c'est ainsi que je l'ai vu rapporté dans un journal télévisé, en Grande-Comore. Les Grands-Comoriens n'en croyaient pas leurs yeux.

Dernière note pour les lecteurs lointains : Monsieur Zaïdani, c'est le Président du Conseil Général.

mercredi 5 octobre 2011

Little Wing

Le Mont Choungui dans la brume

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Encore une fois bien du temps s’est écoulé depuis le dernier message. Nous sommes allés en métropole où j’ai promené deux gaboussi. Nous avons revu famille et amis, sans compter les musées et Internet qui me faisait rire comme un enfant tellement cela marchait bien. Puis retour à Mayotte qui attrape un coup de sang à cause du prix des mabawa (ailes de poulets) et bien d’autres choses plus ou moins dites qui ruminent dans l’ombre.

C’est notre dernière année ici. Je m’applique à terminer les chantiers que j’ai commencés. Notamment trois films sur la fabrication d’instruments de musique mahorais. Il m’est alors venu l’idée que rien ne valait un plan aérien pour situer le décor et que c’était rendre justice à ces instruments, aux hommes et à la terre qui les ont patiemment mûris que de les présenter d’une certaine hauteur, de les éclairer d’un rais de lumière traversant les nuées.

Je suis donc allé voir les Passagers du Vent à Pamandzi, en me levant fort tôt pour éviter d’éventuels barrages de manifestants, et pour être sûr de trouver une barge, et je me suis envolé sur une frêle machine pour filmer d’en haut cette île que j’ai tant parcourue.

C’est beau. Incontestablement beau. Bien plus beau que les images assez floues que j’en rapporte toutes nimbées d’une brume diffuse.

Mais au-delà de la beauté plastique, il y avait aussi le plaisir de pouvoir nommer chaque village, de survoler la maison d’Untel, la plage de Tanaraki où je joue du gaboussi avec Anibali, mon ancienne école de Mtsamboro, l’atelier de Colo Hassani sur les hauteurs de Chiconi et celui de Soundi au foyer des jeunes de Chirongui…

Et le plaisir de voler bien sûr. Un plaisir ambigu car Icare n’est jamais bien loin pour peu qu’on s’intéresse à la mythologie.


La pointe Sazilé

À peine revenu sur terre, j’ai pris des bribes de ces images pour en faire un petit bout de film. Pour la musique, il me fallait quelque chose de grand, de fragile et de pathétique comme le sont les destinées humaines. J’ai choisi cette version de Little Wing de Jimi Hendrix (grand, fragile et pathétique), interprétée par mon frère Pierre qui est un bon pilote d’ULM.