dimanche 26 avril 2009

La tortue


C’était la nuit, une nuit de pleine lune. Nous étions sur la plage de Moya, une de ces deux plages magnifiques en forme de cirque. Il y avait là vingt-et-un enfants et quatre adultes mystérieusement silencieux et attentifs, formant une masse sombre sur le sable couleur de lune. Le garde des tortues nous avait dit que nous devions ressembler à un rocher immobile pour ne pas effrayer la tortue qui s’apprêtait à pondre.

Elle était à une petite dizaine de mètres de nous. Nous la voyions de profil. C’était une grosse tortue verte qui faisait plus d’un mètre de long. Elle avait commencé à creuser. On entendait, par-dessus le bruissement tranquille de la mer, le bruit sec du sable qu’elle projetait à coup de nageoires. Le garde avait dit qu’il nous faudrait attendre peut-être quarante minutes avant de pouvoir nous approcher pour voir les œufs.

Les enfants commençaient à donner de silencieux signes de fatigue. Certains somnolaient, assis en tailleur, la tête entre les genoux. Je leur faisais signe de s’allonger, comme ils pouvaient, plus ou moins en chien de fusil. Ça ne leur plaisait pas car ils voulaient voir. Un par un, cependant, ils ont fini par céder. Un par un jusqu’au dernier. Jusqu’au plus remuant de la classe, celui dont le père, fâché, est venu un jour chercher en classe son téléphone portable que le gamin lui avait chapardé (et que je venais de confisquer), celui à qui, hier encore, j’ai confisqué un briquet qui faisait une longue flamme, celui dont je trouve qu’il ressemble à un bouchon de champagne et qui, en sport, saute en longueur comme un diable saute de sa boîte. Même lui a cédé. Après une longue lutte silencieuse, il a posé la tête sur le sable et s’est endormi à l’instant. Fatou qui nous accompagnait s’est allongée aussi ainsi que notre autre accompagnatrice. Le garde des tortues s’était éloigné, hors de portée de voix, pour régler par téléphone ses affaires de garde des tortues.

C’était la nuit. J’étais assis sur la plage au milieu d’une grappe d’enfants endormis. Nous étions quatre à veiller : La mer, la lune, la tortue et moi.

Il m’a fallu courir au bout du monde après plus de vingt ans de carrière pour en arriver là.

Quand le garde est revenu, la tortue avait été plus rapide que ce qui avait été prévu. Elle avait déjà recouvert ses œufs. Nous avons réveillé les enfants pour qu’ils voient la tortue de près. Les photos sans flash ne donnaient absolument rien. Le garde m’a dit d’en faire tout de même une avec flash pour que les enfants gardent un souvenir de cette nuit.


C’est vrai que le flash peut effrayer une autre tortue sur le point d’accoster. Mais c’est vrai aussi qu’on braconne entre 1000 et 2000 tortues par an à Mayotte et qu’il est important de sensibiliser les enfants.

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