samedi 16 mai 2009

Des Cannibales

Michel de Montaigne 1533-1592

J’avais une fois évoqué Montaigne dont les Essais, qui touchent à tous les sujets et sautent souvent du coq à l’âne, me font penser à nos blogs modernes. J’aime bien Montaigne. En général, j’aime bien les auteurs anciens. Je ne connais pas de plus grand luxe que celui de prendre le temps de lire un texte ancien, surtout si le texte en question relève de la littérature de voyage ou s’il décrit des peuples ou des usages disparus.

Le chapitre XXX du livre I des Essais est intitulé : Des Cannibales. Peut-on imaginer plus affreux, plus sauvage et plus effrayant qu’un cannibale ? Pourtant Montaigne les peint sous un jour très avantageux et les trouve bien moins barbares que le bon peuple de France qu'il a vu se déchirer, au sens propre et avec des raffinements de cruauté, au cours des guerres de religion. J’ai découvert dans cet essai que les Cannibales, qui semblent consacrer beaucoup de temps à la danse, connaissaient le bâton rythmique cher à André Schaeffner dont j’ai parlé dans l’article sur les masheve. Cet instrument est la version cannibale du bâton de chef d’orchestre qui allait coûter la vie à Lully. Montaigne le décrit ainsi : "des grandes cannes ouvertes par un bout, par le son desquelles ils soustiennent la cadance en leur dance."

Montaigne, qui n’est jamais allé en Amérique, nous présente son informateur.

« Cet homme que j'avoy, estoit homme simple et grossier, qui est une condition propre à rendre veritable tesmoignage : Car les fines gens remarquent bien plus curieusement, et plus de choses, mais ils les glosent : et pour faire valoir leur interpretation, et la persuader, ils ne se peuvent garder d'alterer un peu l'Histoire : Ils ne vous representent jamais les choses pures ; ils les inclinent et masquent selon le visage qu'ils leur ont veu : et pour donner credit à leur jugement, et vous y attirer, prestent volontiers de ce costé là à la matiere, l'allongent et l'amplifient. Ou il faut un homme tres-fidelle, ou si simple, qu'il n'ait pas dequoy bastir et donner de la vray-semblance à des inventions fauces ; et qui n'ait rien espousé. Le mien estoit tel : et outre cela il m'a faict voir à diverses fois plusieurs mattelots et marchans, qu'il avoit cogneuz en ce voyage. »

Il faudrait donc n’avoir « rien espousé » pour « rendre véritable tesmoignage ». Hélas, je crains bien d’avoir épousé ici trop de choses pour être utile en ce domaine. Ma vie, en fait, n’est qu’une longue suite d’épousailles. En premier lieu j’ai épousé le beau côté des choses et leur côté drôle. Je sais bien qu’il en est un vilain, un affreux, un cruel, un atroce, un épouvantable, c’est vrai, mais je n’ai ni le goût ni le talent de m’en occuper.

C’est pourquoi, pour avoir une vision moins partiale et plus complète de la vie à Mayotte je vous renvoie régulièrement à la Lettre de Malango qui me semble faire honnêtement son travail journalistique. Il y a également un nouveau venu qui s’appelle Upanga qui donne, en ligne, ses grands titres.

Dans un autre genre, il est paru dernièrement une BD intitulée Droit du sol de Charles Masson (Casterman). Je ne l’ai pas encore lue. Pour ceux qui aiment les BD réalistes, ça doit être d’un tout autre tonneau que mes reportages surréalistes sur les mbiwi ou le Wadaha.

Droit du sol de Charles Masson

Il est vrai que la vie peut être très dure à Mayotte quand on est étranger. Même pourvu de papiers en règle on est soumis à mille tracasseries inutiles. J’ai vu, par exemple, un employé de la poste faire retirer ses lunettes à un client pour s’assurer qu’il ressemblait bien à la photo qu’il y avait sur son passeport. Ce zèle imbécile qui dépasse souvent le cadre de la légalité semble être la règle. Dès qu’il s’agit d’un étranger, le moindre agent de n’importe quelle administration devient enquêteur. J’ai cependant connu le même zèle imbécile en métropole, de façon peut-être plus ponctuelle et peut-être un peu moins systématique.

Seulement ici, il y a les mbiwi. Quelle que soit la rudesse avec laquelle on a pu vous traiter ici ou là dans le dédale paranoïaque d’une administration ubuesque, il suffit d’assister à une séance de mbiwi pour retrouver le sourire. Je n’ai rien connu de tel en métropole, sauf peut-être les concerts de ZORéOL que j’ai le plaisir de saluer ici.