dimanche 31 octobre 2010

Voyage à Anjouan (1)

La Maria Galanta

La Maria Galanta (photo Malango)

Je n’y connais rien en bateau. Pourtant, j’ai lu tous les Corto Maltese. Quand j’étais enfant, j’avais lu aussi l’île au trésor de Stevenson et Naufragé volontaire d’Alain Bombard. Plus tard, j’avais eu la chance de me plonger longuement dans le Journal de bord de Christophe Colomb, un ouvrage que je recommande très vivement à tous les amateurs de poésie fortuite. En outre, j’ai vu quelques films de pirates et je sais faire le nœud de cabestan, un peu par hasard d’ailleurs, car c’est celui que l’on utilise pour fixer les lames des balafons. À part cela j’avoue que le monde des bateaux m’est totalement étranger. Cela ne m’empêche pas de les aimer, bien au contraire.

N’y connaissant rien, je dirais donc que la Maria Galanta ressemble tout à fait à un yacht, au moins quand on est sur le pont. La différence, c’est que j’imagine que sur un yacht on est invité et qu’on y boit volontiers du champagne. Pas de champagne sur la Maria Galanta, et il faut payer sa place. Dans certaines conditions, on peut ne pas payer son billet, mais c’est beaucoup moins drôle. En effet, si vous tapez Maria Galanta dans la boîte de recherche de Google, vous verrez que ce bateau est surtout connu pour le rôle qu’il joue dans les expulsions de clandestins vers Anjouan.

Il en va souvent ainsi à Mayotte, derrière les plus belles images, il y a toujours l’ombre douloureuse de ces crève-misère qui se font expulser et de ceux qui se noient en mer en essayant de revenir. Car ce sont toujours les mêmes qui reviennent, si bien que le nombre des « étrangers en situation irrégulière reconduits à la frontière » dont on tire gloire ici ou là, et qu’on agite comme un épouvantail, est à diviser au moins par deux et sans doute par trois ou plus.

Le voyage en bateau pour aller à Anjouan, c’est aussi cela. C’est être confronté à des questions complexes qui appellent des réponses certainement plus complexes que la politique à courte vue du record d’expulsions à battre qui semble être appliquée actuellement. Je dis "qui semble" car j’ai lu quelque part qu’on s’en défendait en haut lieu. Je dis "à courte vue" car je me demande ce que mon pays peut gagner, sur un plus long terme, à accumuler dans la région tant de ressentiments.

Un peu de musique pour apaiser les djinns de la mer

J’ai fait le voyage sur le pont car j’aime le grand air. Nous sommes partis bien plus tard que prévu car nous devions attendre que la PAF ait fini d’embarquer des clandestins expulsés qui arrivaient petit à petit et étaient cantonnés à l’arrière, sur une sorte de pont inférieur. Sur notre pont à nous, il y avait principalement des Anjouanais qui, après des années de tracasseries, avaient réussi à obtenir un titre de séjour, fragile et provisoire, et qui partaient faire un petit tour chez eux. Il y avait également des lycéens qui avaient atteint l’âge de dix-huit ans. Ils n’étaient plus autorisés à vivre à Mayotte et partaient aussi dignement que possible avant de se faire expulser. Il y avait aussi quelques mzoungous en vacances, très peu de mzoungous. Le gros des passagers était à l’intérieur du bateau, sur des sièges semblables aux sièges des avions ou des autobus. Sur le pont, nous disposions d’une grande table conviviale équipée de deux bancs de bois, le tout solidement fixé au sol. Je jouais du gabusi à cette table et cela amusait les Anjouanais.

Quand nous fûmes enfin partis, la nuit tombait. Comme je l’ai su dans la soirée, il était trop tard pour espérer trouver quelqu’un pour les formalités douanières et policières à l’arrivée à Mutsamudu et nous allions devoir dormir sur ce bateau balloté par les flots au large de d’Anjouan. Nous avons donc vogué de nuit sans nous presser sur une mer relativement houleuse. Je n'imaginais pas qu'un tel bateau pouvait remuer autant en l'absence de grosses vagues.

Un clic sur la photo pour voir la vidéo

Les lumières de Mayotte qui s'éloignent

Heureusement, dans le sens Mayotte-Anjouan, les Anjouanais transportent beaucoup de bagages et de cadeaux pour la famille. Ils transportent notamment bon nombre de matelas que les matelots bourrent à l’avant du pont entre le poste de pilotage et le bastingage. C’est un très bon endroit pour s’allonger et regarder les étoiles. Cela demande un peu d'audace et de réflexion car tous ces matelas de mousse, pliés en deux, sont disposés comme les feuilles d’un gros livre reposant sur la tranche, si bien que l’on aurait vite fait, si l’on ne prenait soin de s’allonger en diagonale, de glisser et de se retrouver coincé entre deux matelas comme l’étaient les enragés avant les découvertes de Pasteur.

Lever du jour sur Anjouan

mardi 19 octobre 2010

Mandoliny

RIALY Tomboson Robert, du groupe SARANDRA BELOBA

C’était au festival Milatsika. Deux soirées de concerts à Chiconi. En fait, une soirée et demie pour nous, car le premier soir, nous sommes rentrés assez tôt et n’avons vu que deux groupes. Si bien que nous avons manqué Sarandra Beloba. Grands regrets le lendemain quand j’ai compris que le type qui jouait de la mandoliny malgache sur son stand, faisait partie du groupe. Tout en jouant, il vendait quelques instruments et des chapeaux.

Des instruments en vente sur un stand, bien sûr cela m’attire. Mais des instruments en vente sur un stand, cela suscite aussi des soupçons. Le mzoungou n’aime pas être pris pour un touriste. C’est comme ça. Même s’il est vraiment touriste jusqu’à la moelle de ses os, il ne veut pas que cela se sache. Alors j’examine les instruments avec soin. Leur origine malgache et leur facture artisanale ne font pas l’ombre d’un doute. Reste leur qualité musicale, difficile à apprécier dans le tintamarre d’un grand concert. Apparemment ils sont faciles à accorder et, une fois accordés, ils ne bougent pas. Autre point délicat, les frettes. Elles sont découpées dans une tôle mince et plantées dans le manche comme des agrafes ! Il y a eu à une époque des guitares électriques à frettes plates, un peu comme celles-ci. Une hérésie pour certains, mais elles sonnaient pourtant très bien. C’est visiblement un musicien qui a placé ces frettes avec soin car le manche est juste sur toute sa longueur. Quant à savoir si l’instrument est jouable, il n’y a qu’à écouter le musicien dont les doigts courent dans tous les sens pour s’en convaincre. Vraiment, j’aurais aimé l’entendre en concert avec le reste de son groupe. Ils jouaient tous sur ce genre d’instruments.


La vidéo que j’ai mise sur You Tube, je l’ai prise dans le brouhaha qui règne habituellement à proximité des buvettes dans les concerts en plein air. Enfin, on entend tout de même un peu l’instrument. Sur la vidéo, le musicien joue sur la mandoliny que j’ai achetée. Je veux bien passer pour un touriste tout le reste de ma vie, si j’arrive un jour à en jouer comme lui.

mercredi 13 octobre 2010

Des Vidéos pour apprendre le Shimaoré

Je viens de faire un tour sur ce blog pour voir où je vous avais laissés la dernière fois. Boudiou ! Pas un mot depuis la Case Robinson ! Cela fait plus d’un mois. En fait j’ai beaucoup travaillé pour Carrefour Chirongui, mon nouveau blog 100 % gaboussi qui me prend beaucoup de temps. Et puis je me suis laissé submerger par un autre projet pharaonique que j’avais en tête depuis un moment.

Dans le cadre d’Hippocampus, l’association culturelle de l’IFM où je travaille, j’ai lancé un atelier de réalisation de vidéos visant à faciliter l’apprentissage du shimaoré.

On trouve en librairie quelques matériaux pour l’apprentissage du shimaoré, mais il n’y en a pas assez. Surtout, il n’y avait rien en vidéo. Alors c’est parti. Avec quelques stagiaires volontaires et aventureux, nous bâtissons pas à pas notre propre méthode vidéo dans laquelle nous mettons ce qui nous paraît le plus urgent. Voici un extrait du texte de présentation de cet atelier :

« Dans cette aventure, nous poursuivons deux objectifs :

D’une part, nous voulons élaborer un outil d’apprentissage drôle, convivial et efficace. Un outil pratique pour les wazungu qui aimeraient bien parler le shimaore et qui ont du mal à effectuer les premiers pas.

D’autre part, en construisant cet outil, nous sommes immédiatement plongés dans le vaste problème que constitue l’enseignement d’une langue. Par quoi commencer ? Comment bâtir une progression ? Il nous faut lister des compétences et trouver ensuite des situations ludiques permettant de faire acquérir ces compétences. Bref, nous sommes très près de notre métier, mais cette fois-ci, nous travaillons pour nous. Nous sommes à la fois élèves et professeurs.

Pour un mzungu qui a envie d’apprendre le shimaore, participer à un tel atelier, c’est assez naturel. Mais pour une Mahoraise ou un Mahorais qui n’a pas besoin de ces vidéos pour parler sa langue, c’est une démarche volontariste que je trouve tout à fait remarquable. Je les remercie donc très chaleureusement de consacrer du temps et de l’énergie à partager aussi généreusement leurs connaissances. Je leur souhaite de découvrir en chemin que, par delà les objectifs notionnels, les objectifs opérationnels, les compétences transversales et les nombreux autres termes barbares dont on l’affuble cruellement, la pédagogie, c’est avant tout un peu de bon sens mis au service du plaisir d’enseigner. »

Je vous parle de tout ça, mais vous vous aimeriez peut-être entendre du shimaoré. En tout cas, je l’imagine. Je vous ai donc mis, en avant-première, une de ces petites vidéos qui seront bientôt toutes en ligne. À vous de deviner de quoi il est question. C’est un jeu. Le premier qui propose une réponse acceptable sera déclaré vainqueur et aura droit à une surprise.

Pour voir la vidéo, il faut cliquer ici.

jeudi 7 octobre 2010

Comment apprend-t-on à jouer du gaboussi à Mayotte ?

De gauche à droite : Soundi, Moussa Madi, Saidi Bamana

Cliquer sur la photo pour voir la vidéo

À Mayotte, pour apprendre à jouer du gaboussi, la façon la plus simple et la plus naturelle est d’aller s’asseoir à côté de quelqu’un qui sait en jouer, de bien l’écouter et de bien l’observer.

Cela peut se faire entre pairs, entre amis. On fait tourner le gaboussi. Chacun joue à son tour tandis que les autres chantent ou accompagnent en tapant des mains ou en secouant un mkayamba ou une canette de soda contenant de petits cailloux.

Cela peut se faire également en allant chez un fundi. Un fundi c’est quelqu’un qui maîtrise un savoir ou un savoir-faire. On peut être fundi de gaboussi, fundi de mécanique, fundi maçon… et bien sûr fundi coranique. Il n’y a pas de diplôme de fundi. Si vous voyez que des gens ont remarqué que vous savez bien coudre les vêtements et qu’on vous demande des conseils dans le domaine de la couture, c’est que vous êtes devenu un fundi couturier. Il n’y a pas besoin de mettre une plaque de cuivre sur votre porte, cela se sait déjà.

C’est normal de devenir fundi quand on pratique assidûment quelque chose. Cela fait partie de la vie. Quand on a amassé des connaissances, on les transmet à d’autres. Cela ne se monnaie pas. On y gagne le prestige modeste d’être reconnu comme fundi et éventuellement un petit cadeau de temps à autres. On y gagne surtout le plaisir de voir un petit jeune jouer tel morceau qu’un vieux bakoko nous avait enseigné il y a très longtemps quand on était soi-même jeune et inexpérimenté.

Le fundi explique très peu, ou même pas du tout. Il montre simplement. Il donne à voir et à entendre. Il joue tandis que son élève essaie de reproduire ce qu’il voit et ce qu’il entend.

Kolosan et Del

Une autre façon d’apprendre, régulièrement attestée, est de se fabriquer un gaboussi et d’aller s’installer au bord d’une rivière. Là, entre le bruissement des bambous et le clapotis de l’eau, il serait bien étonnant que les doigts ne trouvent pas le chemin des notes qui sonnent bien. Des notes bien mahoraises qu’on a dans les oreilles depuis la plus tendre enfance. Pour expliquer l’efficacité de cette méthode, j’avancerai l’hypothèse que la rivière, en dehors de l’espace humain du village, relève du monde des djinns et que ceux-ci soufflent à l’apprenti musicien les belles notes qu’ils aiment entendre lors des cérémonies qui leur sont consacrées.