jeudi 31 mars 2011

Le Pipa, un cousin chinois





Pipa de la dynastie des Tang (618-907), vu de dos (source : wikipédia)

Le luth piriforme monoxyle (en forme de poire et taillé dans une seule pièce de bois) apparaît en Chine vers le IIe siècle de l’ère commune.


Introduction du pipa en Chine, vers le II° siècle


Il vient d’Asie centrale, sans doute du royaume kushan, en suivant la route de la soie. Il va subir l'influence du barbat persan et devenir vite très populaire en Chine où il supplantera peu à peu le luth à manche long, plus ancien. Sous la dynastie des Tang (618-907), on le trouvera partout, dès qu’il sera question de musique ou de danse. En effet, la Chine des Tang est très cosmopolite et accueille volontiers tout ce qui vient de Perse où d’Asie centrale.

Le terme pipa, qui jusqu’alors désignait indistinctement tous les luths, lui est désormais réservé. Le luth à manche long devient alors le Qin pipa, le pipa de la dynastie des Qin (-221 / -207) ou le ruan (prononcé [ʒuan]) du nom de Ruan Xian, un des "septs sages du bosquet de bambous", célèbres lettrés, plus ou moins taoïstes et amateurs de vin et de musique qui vivaient vers la fin de l’époque de Trois Royaumes (fin du IIIe siècle de l’ère commune).


Ruan Xian, à droite, jouant de l'ancien luth à manche long.Peinture murale sur un tombeau à Nankin. Période du Nord et du Sud (280-316) Photo 维基百科 (Wikipédia chinois)


Dans l’ouest de la Chine, aux portes du désert, tout au bout de la Grande Muraille, à la jonction de deux routes venant d’Asie centrale, il y avait une petite ville de garnison nommée Dunhuang. Tout près de cette ville, au cours des siècles, des pèlerins ont creusé dans le schiste d’une falaise des centaines de grottes pour honorer le Bouddha. On y a découvert des sculptures, des peintures murales, des peintures sur soie, des manuscrits très rares comme, par exemple, une version nestorienne de l’évangile selon St Jean...


Grottes de Dunhuang (Photo : Chine informations)

Ces grottes de Dunhuang sont une inestimable source d’informations sur la Chine et l’Asie centrale du IV° au XIV° siècle. Certaines peintures murales présentent des musiciens. On y voit des orchestres utilisant de nombreux instruments qui jouent pour de hauts personnages du panthéon bouddhiste. On y voit donc bien sûr ces lointains cousins du gaboussi que sont les pipa.

Dans l’une de ces peintures datant des Tang, on voit, au centre de la composition, une apsara danser en jouant du pipa. Dans la mythologie indienne, les apsaras sont les compagnes des dieux ou des démons. Ce sont des créatures merveilleuses qui excellent dans tous les arts.


Dunhuang, grotte Mogao n°112, apsara dansant en jouant du pipa. Période Tang (618-907). Source web inconnue (nombreux sites chinois)

En élaguant un peu dans l’exubérance de la peinture, on voit mieux l’apsara qui danse en jouant du pipa à l’envers, dans son dos et par dessus sa tête. Nous sommes plus de mille ans avant Jimi Hendrix, mais l’idée était déjà là, aux portes de la Chine, aux confins du désert.


Dunhuang, grotte Mogao n°112, apsara dansant en jouant du pipa. Période Tang (618-907)


Les Chinois contemporains sont assez fiers de cette image étonnante. On le serait à moins. Pour la magnifier, ils ont élevé une statue sur la grande place de Dunhuang. Malheureusement, côté vêtements, ils sont nettement plus pudibonds que leurs glorieux ancêtres.


Dunhuang, statue de l'apsara

Un clic sur la photo pour voir et entendre un pipa.

Noter sur la vidéo la taille de l’instrument moderne, sa tenue verticale et le jeu aux doigts, sans plectre.

Pour une description détaillée de l'instrument (en anglais), faites un tour sur l'Atlas of plucked instruments. l'article de l'Atlas contient également un lien vers le site de Liu Fang, célèbre virtuose du pipa (texte en neuf langues, dont le français).

Photo : ATLAS OF PLUCKED INSTRUMENTS

Un clic sur la photo pour aller sur l'ATLAS

mercredi 9 mars 2011

Un gaboussi de Chirontro

Gabusi par Chirontro

Saïd Abassi, dit Chirontro, était, dans les années 90, un célèbre musicien et facteur d’instruments de Domoni (Anjouan). Outre son activité dans les cadres comoriens traditionnels, rumbu et mariages, il a donné des concerts dans de nombreux pays d’Europe et d’Afrique. Aujourd’hui, il semble ne plus jouer qu’en privé.

Son style est très anjouanais, plus oriental que le style mahorais, et moins malgache, même s’il chante parfois en kibushi le répertoire des trumba.

Un clic pour entendre Chirontro



Gabusi par Chirontro

Les gabusi qu’il fabrique, ou qu’il fabriquait, sont remarquables, tant par leur forme que par leur son. Ils sont très étroits, comme leur ancêtre yéménite. Le manche, assez profond et bien creusé, augmente considérablement la taille de la caisse de résonance et donne à l’instrument un volume sonore important. Les deux exemplaires que j’ai pu observer ne comportent pas d’ouïes, ni dans la peau, ni au dos de l’instrument.

Les cinq cordes sont montées en trois chœurs, deux doubles et une simple. Elles sont accordées ainsi, du grave vers l’aigu :

Mi / Fa♯-Fa♯ / Si-Si

Ces cordes sont fixées à un cordier qui forme une protubérance à la base de l’instrument et que le musicien cale sur son avant bras droit pour maintenir le gabusi à l’horizontale quand il en joue.

Le chevalet est en forme de portique japonais dont les deux piliers appuient sur la peau de chèvre. Cette peau est fixée à la caisse par des chevilles en bois.

Cordier et chevalet

La touche est un assemblage de trois fines planchettes, de bois et non de contreplaqué, mises bout à bout.

Le sillet de tête est taillé dans la même pièce que le haut de la touche.

jeudi 3 mars 2011

Répétition sous la pluie

Ahamadi Gougou (centre) et Colo Hassani (à droite)

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Cela faisait des mois que je voulais filmer Ahamadi Gougou en solo ou en petit groupe acoustique. Ahamadi Gougou, c'est un joueur de gaboussi, et aussi de dzendzé. Comme Del, et comme Jimmy, c’est un neveu de Colo Hassani. Je ne le connais pas bien, mais je le croise de temps à autre, toujours avec plaisir car son jeu de gaboussi me plaît beaucoup. Del, que je vois plus souvent, m’avait dit qu'il répétait avec lui et Colo Hassani. Il m'avait indiqué le quartier à flanc de colline où était leur local de répétition. Pour plus de détails, le mieux était de demander sur place.

Arrivé donc sur place, je me renseigne auprès de types qui préparent un voulé devant leur banga. Le voulé, c’est la version mahoraise du barbecue entre amis, et un banga, c’est une cabane de célibataire. Les types sont plutôt étonnés de me voir là, et vaguement réprobateurs. Ils ne me regardent pas vraiment de travers, mais franchement, à leurs yeux, avec ma tête de fonctionnaire de l’État, il est clair que je dois me tromper et qu’il n’y a certainement rien pour moi ici. Cependant, quand je leur parle de Del et d’Ahamadi Gougou, Ils me font un grand sourire et me disent que c’est bien là, un peu en contrebas, dans une maison en construction dont le destin semble être de rester à l’état de projet encore un bon bout de temps. Ils me disent que pour l’instant il n’y a que le fundi. Le fundi, c’est Zama Colo (Tonton Colo), c’est-à-dire Colo Hassani, dit encore Kolosan. Ils ont dû voir dans mon regard un éclair de mélomanie joyeuse car ils me souhaitent un bon après-midi en me recommandant de faire attention dans la descente. Le chemin en terre, plus ou moins taillé en forme d’escalier, est très glissant. Nous sommes en pleine saison des pluies, entre deux averses.

Ahamadi Gougou

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La saison des pluies n’est pourtant pas bien vaillante cette année. Alors qu’en cette période, il tombe normalement une ou deux trombes quotidiennes, en ce moment, il peut passer plusieurs jours sans pleuvoir et les réserves d’eau baissent. Mais là, depuis une bonne semaine, nous subissons de loin les effets d’un cyclone qui tourne dans le Canal du Mozambique et cause de gros dégâts à Madagascar. Nous avons eu droit à de très fortes pluies. En garant la voiture le long de cette petite route très pentue, j’ai essayé d’imaginer diverses possibilités, coulée de boue, affaissement ou glissement de terrain, avant de choisir l’emplacement le plus raisonnable.

Je descends donc le raidillon en m’appuyant aussi dignement que possible sur mon parapluie qui me sert de canne.

Colo Hassani

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Le local de répétition, c’est le soubassement d’une maison en chantier. Quelques chaises, une table basse, une prise de courant pour brancher un petit ampli pour le dzendzé mais, ce jour-là, pas de lumière électrique. Quand il faudra fermer la porte pour se protéger de la pluie battante, je filmerai à la bougie, comme Stanley Kubrick dans les scènes d’intérieur de Barry Lyndon. À part que Kubrick utilisait des milliers de bougies, tandis que moi, je n’en ai qu’une seule. Il en a résulté ces petits films que je vous présente ici et dont j’avoue que je suis assez content. Ils montrent bien l’ambiance de la saison des pluies et l’incroyable optimisme de l’être humain que rien n’arrête dans son désir d'illuminer sa vie en jouant avec des sons savament organisés.