dimanche 4 janvier 2009

Déba



J’ai entendu plusieurs fois dire que sur le plan culturel, il ne se passait rien à Mayotte et qu’on s’y ennuyait facilement. J’en reste à chaque fois sans voix. Il me semble que le plus souvent, l’ennui est quelque chose de très personnel, un sentiment de manque que l'on porte en soi et que l’on projette sur le monde extérieur. Je suis convaincu qu’on doit pouvoir s’ennuyer profondément au carnaval de Rio si l’on aspire à autre chose qu’à de la samba et des confettis.

À Mayotte c’est la même chose. Si vous voulez absolument la Gay Pride ou une techno-teuf vous risquez de vous morfondre amèrement et de trouver la vie culturelle singulièrement pauvre. Pourtant c’est d’une richesse incroyable. Il suffit de penser à écouter ce que l’on entend et à regarder ce que l’on voit pour ne plus avoir que l’embarras du choix.

Hier soir, il y avait un grand concert à Handréma, un village pas très loin de chez nous. Mais nous n’y sommes pas allés parce que nous avions besoin de nous reposer un peu. Cela fait un mois que nous courons de concert en concert. Alors stop, nous étions-nous dit, ce soir on se couche tôt. C’était sans compter sur un concert inattendu sur le plateau sportif en bas de chez nous. Autant dire un concert dans notre salon. Apparemment des musiciens malgaches, et des bons, ce qui est un pléonasme. J’ai pensé un moment les enregistrer depuis notre varangue pour vous faire écouter mais j’ai tellement de bouts de films, d’images et de sons en attente que j’y ai renoncé. J’ai même bien failli également me relever pour aller les voir en me disant que c’était criminel de ne pas voir ça mais mon ange gardien m’a soufflé que les criminels aussi avaient le droit de dormir.



Cet après-midi, nous sommes allés voir un déba. Ce coup-ci c’était bien un vrai déba et non un tari. Je vous redonne ce que dit mon dictionnaire au sujet du déba :

Nom d'une prière de femmes, organisée par les adeptes de la twarika Rifayi, se tenant sous une tente de toile sur la place publique. Dans chaque groupe, les femmes, parées, vêtues du même pagne, chantent des invocations à Dieu et au Prophète, dansant (debout ou assises) par simples mouvements de la tête (uBadza) ou des mains, en suivant avec ensemble des figures précises (par ex. makasi, les ciseaux).



Ces événements font partie de la vie sociale ordinaire des villages. Ils ne sont pas spécialement annoncés et on ne les considère pas comme des spectacles. J’avais été prévenu de la tenue de ce déba par Soihabati, ma collègue qui y participait. Pendant le ramadan, les femmes se réunissent pour lire le Coran en entier en se relayant. Elles gardent les dernières sourates qui sont les plus courtes, pour le jour de l'Aïd. Ce jour-là, elles sont assises de façon à former un carré. Chacune lit à son tour. Celle qui tombe sur une certaine sourate, on n'a pas pu me préciser laquelle, doit organiser un repas chez elle. Celle qui tombe pour la troisième fois sur cette sourate, il faut donc au moins trois ans, doit organiser un grand déba.

La cérémonie oublie le temps. Pendant des heures, les femmes se relaient pour chanter, jouer du tari (tambour sur cadre) et distribuer des friandises et des boissons aux participantes et aux enfants.



Avant de regarder la vidéo en cliquant ici , deux mots d’excuse : La voix de la soliste est impitoyablement massacrée par une sono douloureuse, le chœur chante heureusement sans micro. Limité par le poids du fichier vidéo, j’ai choisi un plan centré sur quelques mouvements de mains, mais il y en a plein, comme il y a aussi de légers mouvements de bustes et une longue ondulation du groupe. Enfin l’ensemble, conçu pour durer plusieurs heures, souffre nécessairement de sa réduction à 40 secondes.

2 commentaires:

  1. bonjour

    interessante cette citation de votre dictionnaire. quel est ce dictionnaire?

    - j ignorais que la ceremonie impiquait la rifaiyyah, ceci dit dit est tout a fait possible. La choregraphie est tres ressemblante au Moulidi des membres masculins de la rifaiyyah de l archipel et de Zanzibar. telecharger sur la question le document http://inthegapbetween.free.fr/pierre/report-derviches/Maulidi_Ya_Homu.pdf


    - de memoire il ne s agit pas de textes en arabe. a mon avis il faut verifier votre information concernant le Coran. A l oreille , c est tres souvent du comorien.

    - les choregraphies feminines en rangsimilaires sont pletoriques dans l ocean indien: diba (madura), dabbal (afars de djibuti) , maulide ya hubanza (Moheli).
    Chez les hommes ce sont le samman (indonesie), homu (zanzibar), mulidi et diritchi (comores).


    Forgottenfr

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  2. Ce dictionnaire est le Dictionnaire Mahorais/Français Français/Mahorais de Sophie Blanchy édité par l'Harmattan.C'est une réédition de son lexique comorien.

    Pour le Coran, je dis seulement que la récitation rituelle du Coran lors du ramadan peut déboucher sur l'organisation d'un déba aux frais de celle dont le sort a voulu qu'elle lise une certaine sourate. C'était le cas du déba dont je donne quelques photos et un bout de vidéo.

    Quant à la langue utilisée dans ce déba,je vais poursuivre mon enquête auprès de personnes qui y ont participé.

    J'ai téléchargé le document "report-derviche" et j'ai été très intéressé par la taille de l'aire géographique concernée par ces rituels. Intéressé aussi par bien d'autres informations.Merci.

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