vendredi 26 décembre 2008

On parle de nous en métropole

J'ai eu Julie au téléphone. Elle m'a demandé ce qui se passait à Mayotte car disait-elle, il n'y avait pas un jour sans que l'on parle de Mayotte aux infos en métropole. Étant fonctionnaire, tenu au devoir de réserve, je lui ai répondu qu'il ne se passait rien de plus que d'habitude et que si on en parlait un peu plus en métropole, il s'en passerait peut-être un peu moins ici. Belle réponse, adroite et économe, après quoi je l'ai invitée à lire régulièrement la Lettre de Malango dont un lien figure en haut à droite de la page d'accueil de ce blog et vers laquelle je remets un lien ici pour les plus paresseux ou pour ceux, il en existe encore, qui ne savent pas bien cliquer et le font sans discernement.

Ainsi donc si vous cliquez sur le lien ci-dessus, vous saurez ce que nous savons tous ici de la façon singulière dont sont appliquées, sur cette île enchanteresse, les lois de la République.

mercredi 17 décembre 2008

Les Africains de Mayotte


Peu avant les vacances, nous sommes allés à une fête organisée par l’amicale des Africains de Mayotte. S’il existe une fête grandement méritée, c’est bien la fête des Africains de Mayotte car être Africain à Mayotte, ce n’est pas facile.

Il n’y a pas bien longtemps, en shimaoré, il y avait deux mots pour traduire Africain: Mumurima, terme neutre qui semble être plutôt un adjectif signifiant relatif à l’Afrique (Murima) et Mushenzi qui signifie païen, esclave, vil. Voici qui en dit long sur la représentation qu’avaient, et qu’ont encore bien souvent, les Mahorais des Africains.

Ceci explique peut-être pourquoi les Mahorais ne se considèrent pas comme des Africains et n’aiment pas du tout être pris pour des Africains. Comme tout le monde, j’ai fait la gaffe le jour de mon arrivée :

-Ah ! C’est votre premier jour ? Alors, comment vous trouvez Mayotte?
- Ça me plaît beaucoup. Ça me rappelle l’Afrique…
(Aïe, j’ai dû dire une bêtise!)

Depuis j’ai souvent observé ce changement de tête, cette expression contrariée, à chaque fois qu’un nouveau venu met les pieds dans le plat en faisant un lien entre Mayotte et l’Afrique. Ici, on n’est pas en Afrique, affirme le credo mahorais.

Et pourtant je dois avouer que si j’aime tant Mayotte et les Mahorais c’est qu’ils me rappellent bougrement l’Afrique et les Africains. C’est vrai qu’il y a des différences, comme il y a de grandes différences entre un Bamiléké et un Bambara, un Camerounais et un Malien mais franchement, vu de l’extérieur, ce qui saute aux yeux, c’est l’âme africaine.

Cette âme africaine on la perçoit dans les gestes de la vie quotidienne, dans la façon, par exemple, de porter les objets les plus divers sur la tête. C'est elle qui permet de tirer un parti ingénieux des matériaux végétaux qu’une nature luxuriante produit à profusion, entre deux tempêtes tropicales. C'est elle aussi qui sait préserver l'âme de ces matériaux bruts si bien que tout semble vivant, que rien n’est jamais vraiment bien carré.



Ici, les maisons et les trop rares objets manufacturés parlent d’un âge d’or où la géométrie n’était jamais qu'évoquée, une époque bénie où le carré était allusif. Le cercle n’était encore qu’un rond tracé à la main et la somme des angles des triangles dépendait de la courbure plus ou moins prononcée de leurs côtés.

Pour revenir à mon propos et donner une idée de ce credo mahorais dont je parlais plus haut, voici un extrait d’un petit ouvrage malheureusement épuisé intitulé Les vieux, mémoire d’un pays. Ce livre, compilé il y a dix ans, est une suite de témoignages de vieux Mahorais, hommes et femmes, racontant ce qu’ils savent de l’histoire de leur île. On y trouve, pour l’histoire récente, des fragments autobiographiques et des anecdotes pittoresques mettant en lumière des événements historiques souvent peu glorieux pour le génie colonisateur. Au-delà d’une ou deux générations, cependant, la mémoire se met à tâtonner et l’histoire se teinte de mythes et de croyances.

Voici donc ce que disait, il y a dix ans, un vieux Mahorais :

Sur Mayotte, il faut savoir qu’il n’y avait pas d’habitants, comme dans les autres îles. C’est le Prophète qui a imploré Dieu pour qu’il y ait des habitants et que l’Islam se perpétue.

Et voilà les africains évacués de la scène en un tournemain. Cependant en y regardant de plus près, il me semble que c’est, là encore, l’âme africaine qui parle. Si l’on remplace sur Mayotte par À Tombouctou ou par À Bamako, et les autres îles par les autres villes, on a le début d’un conte africain :

À Tombouctou, il faut savoir qu’il n’y avait pas d’habitants, comme dans les autres villes. C’est le Prophète qui a imploré Dieu pour qu’il y ait des habitants et que l’Islam se perpétue.

C’est ainsi que parlent les âmes, par contes, par fables et par paraboles. Dans ce domaine, l’âme mahoraise est une cousine très proche de l’âme africaine.

Le vieux monsieur poursuit ainsi :

On prenait des esclaves en Afrique et on les ramenait ici. Seulement le roi était arabe. C’était un Mawana. Le dernier a été Mawana Madi qui selon les dires, fut assassiné par les Mahorais. Finalement le pays s’est retrouvé sans roi et avec beaucoup de Malgaches.




Comment voulez-vous que je n’aime pas ce pays, avec des vieux qui racontent de telles histoires ?

En fait, le peuplement de Mayotte s’est fait par vagues successives depuis l'Indonésie, l’Afrique, l’Arabie, l’Iran et Madagascar, par ordre d’entrée en scène. Sans compter les Français et les Indiens et d’autres sans doute, plus récemment arrivés. Cependant le gros de la population, ou plus exactement le gros de la masse génétique, mythologique et culturelle est d’origine africaine. Les plus nombreux ancêtres des Mahorais étaient des Bantous de l’Afrique de l’Est. La principale langue parlée à Mayotte, le shimaoré, est une langue bantoue. Le système familial dans lequel la femme est propriétaire de la maison est d’origine africaine. L’islam qui est pratiqué ici est un islam africain qui intègre de nombreux éléments animistes. Cependant, les Mahorais renient volontiers cet héritage africain et traitent souvent avec mépris les Africains qui le leur rendent bien. Ça, ce n’est ni africain ni mahorais, c’est simplement humain.

Ceci dit, les choses changent, par des chemins parfois bizarres. Ainsi le reggae qui, lorsqu’il a commencé à se faire entendre dans l’île, il y a seulement quelques années, était perçu par les pères de famille comme une musique diabolique ne pouvant mener qu’à la damnation éternelle, ce même reggae donc, est maintenant largement diffusé et pratiqué par des Rastas mahorais. C’est devenu une musique très populaire chez les jeunes. Or, il se trouve que cette musique jamaïcaine valorise sa lointaine origine africaine.

Ne connaissant malheureusement pas grand-chose au reggae dont j’ai eu tant de mal à mémoriser l’orthographe, je ne peux pas donner d’exemple attesté de cette valorisation de l’africanité. Cependant, sans aucune compétence particulière, il me semble que je pourrais inventer un morceau très acceptable avec un refrain tel que I wanna go back to Africa, yeah man, back to Africa. Rien qu’en l’écrivant, je l’entends déjà dans ma tête, et cela sonne diablement bien reggae.

Plaisanterie mise à part, ce back to Africa est en train de s’insinuer dans les jeunes oreilles qui peu à peu se font une autre idée de l’Afrique et de ses sympathiques habitants. Ceci en revanche est largement attesté par de nombreuses réactions pro africaines que j’ai pu constater dans des concerts de reggae ou à différentes occasions ou j’ai pu jouer du balafon en public.

C’est le sang qui parle. Dès qu’il entend le balafon, il me semble que tout honnête homme, qu’il soit Mahorais, Serbe ou Croate, sent monter en lui la joie empreinte de nostalgie de l’appel séculaire de la terre africaine de laquelle ses ancêtres sont sortis comme des ignames, la tête pleine de rêves.

C’était donc un soir où les Africains de Mayotte faisaient la fête. Grand banquet au Koropa-piscine.



J’avais pensé pouvoir me baigner entre les plats si le repas s’éternisait mais ce ne fut pas possible parce qu’au milieu de la piscine s’étalait une longue piste qui avait été préparée pour le défilé de mode organisé par Afrique élégance, une des trois boutiques africaines de Mamoudzou. Les deux autres sont Dogon Boutik et une nouvelle dont je ne sais pas encore le nom car elle vient juste d’ouvrir au désespoir des deux premières.




Très peu de Mahorais à cette soirée, des Africains, bien sûr, et pas mal de Mzoungous.

J’ai bien aimé le défilé de mode. Des jeunes filles dans leurs plus beaux atours qui passent comme des fées semant autour d’elles des sourires radieux, à moins d’être grincheux ou professionnel de la mode, je vois mal comment on pourrait ne pas aimer.




Après cela nous avons dansé. Là aussi je dois reconnaître que je prends autant de plaisir à danser avec les Africains qu'avec les Mahorais. Les uns comme les autres savent sans y penser donner corps à des mythes anciens qui dorment, oubliés quelquefois, aux fond des âmes mzoungoues.



Il y avait notamment un grand illuminé dans un long boubou bleu dont l’esprit était habité par je ne sais quel ancêtre impérieux. Il était accompagné d’une sorte de danseur protecteur en costume cravate qui lui ouvrait la voie et l’apaisait à l’occasion quand l’ancêtre s’emballait trop. Nous ne pouvions guère que faire cercle autour de lui et battre des mains en attendant que sa folie, apparemment sacrée, le pousse à provoquer l’un ou l’autre des danseurs. Plié en deux, il se cachait la tête sous son boubou, levait un doigt haut vers le ciel et se mettait à tourner sur lui-même. Puis il s’arrêtait et pointait son doigt d’un air autoritaire vers le premier danseur ou la première danseuse qu'il trouvait devant lui. Le malheureux ainsi désigné pouvait feindre de l’ignorer, ce qui n’était pas facile car le bougre insistait, ou alors répondre à la provocation par une improvisation dansée, souvent ahurissante.

Il y eut aussi une jeune femme, particulièrement inspirée, elle aussi très provocatrice, qui retroussait une robe pourtant déjà courte pour se livrer à des déhanchements d’une sensualité violemment affirmée. C’était en quelque sorte la version sénégalaise des mbiwi mahorais.

Ces danses effrénées ont leurs détracteurs sévères aussi bien à Mayotte qu’au Mali ou au Sénégal. Elles n’en sont pas moins pratiquées avec le même bonheur et les mêmes vertus thérapeutiques d’un bout à l’autre de l’Afrique et des îles qui la bordent.

mardi 16 décembre 2008

Marché de Noël



C'est enfin les vacances et j'ai un peu de temps pour terminer et publier des messages que je gardais sous le coude. Ils arrivent un peu en vrac sans bien suivre la chronologie. Voici ce que j'écrivais juste avant la pluie désastreuse de dimanche:

C’est la pause, entre midi et deux, sur un marché de Noël à Dapani, très loin, dans l’extrême Sud (toujours à trente kilomètres à vol d’oiseau). Le marché est presque vide, les exposants sont en train de manger. Pas beaucoup de clients. C’est le premier jour des vacances et les Mzoungous qui pourtant sont friands de marchés de Noël doivent être sur la barge, en route pour l’aéroport, destination la métropole, la Réunion ou Madagascar. Les Mzoungous, c’est bien connu, ne tiennent pas en place, c’est même chez eux une nécessité étymologique car il semble que le mot vient d’un terme swahili signifiant « passing around », terme que je me plais à traduire maladroitement « celui qui tourne en rond ». Donc, dès qu’ils sont en vacances, les mzoungous prennent l’avion.

Samedi dernier, premier samedi du mois, nous aurions pu faire un bon marché à Coconi. Les Mzoungous étaient encore là, cherchant des cadeaux à rapporter en métropole. Malheureusement il a plu des seaux et des seaux qui ont dispersé les nombreux acheteurs qui s’étaient déplacés.

Aujourd’hui, le marché de Noël est sous une sorte de hangar dont le toit de tôle résonne furieusement sous la pluie mais nous sommes au sec. Au sec mais un peu seuls. J’en profite pour écrire quelques mots.

Il paraît que la saison des pluies a commencé très tôt cette année. Il pleut tous les jours, souvent assez violemment, comme sur un coup de tête. Cela ne dure pas. Sauf, bien sûr, quand on est coincé sous un porche sans parapluie et qu’on attend que cela se calme un peu pour courir à la voiture. Là, il arrive que cela dure. Les routes en pentes sont changées en torrents avec coulées de boue et de gravats divers. On nous dit que c’est ainsi jusqu’en avril et qu’il fera de plus en plus chaud.

Mauvais temps



Très mauvais temps. Il a plu des trombes d’eau sans discontinuer dans la nuit de dimanche à lundi et tout le lundi matin. De chez nous, on ne voyait pas à vingt mètres. La rivière est montée d’un coup emportant un morceau de la route et inondant les maisons les plus basses. Un voisin a vu sa maison transformée en torrent parce qu’un rat avait fait un trou dans son mur en terre pour lui piller sa réserve de riz. Sa maison est à flanc de colline et l’eau de ruissellement s’est engouffrée par le trou creusé par le rat. Heureusement que la porte d’en face était ouverte, l’eau a pu ainsi s’écouler en traversant la maison de part en part. Nous avons passé l’après-midi à aider d’autres voisins à réparer des dégâts causés par les eaux.

mardi 2 décembre 2008

Le Mkayamba


En principe, dès qu’on entend le gabous, on entend aussi le mkayamba qui fait shikiti-shikiti-shikiti… C’est le cousin du Kayamb réunionais, en plus petit et avec des oreilles.

Comme le Gabous, c’est lui aussi un grand migrateur qu’on trouve depuis la Somalie jusqu’en Afrique du Sud sans oublier les Comores, Madagascar et la Réunion. D’après le catalogue du musée du quai Branly, il semble même qu’on en trouve également au Congo et au Cameroun mais ce n’est pas bien clair. Il se pourrait, par exemple, que tel kayamb découvert au Cameroun y ait été apporté par un voyageur en provenance d’Afrique de l’Est.

Dans ce fameux musée du quai Branly que nous avons enfin visité cet été avant de partir pour Mayotte, j’ai vu un curieux petit kayamb, le seul exposé, qui provenait de Somalie et dont voici la photo et la fiche technique telles qu’elles figurent sur le site du musée.



N° inventaire : 71.1936.52.39
Type d'objet : idiophone par secouement / idiophone / instrument de musique
Ethnonyme(s) : Somali
Toponyme(s) : Mogadiscio / Banaadir / Somalie / Afrique orientale / Afrique
Personne(s) / Institution(s) :
Précédente collection : Musée de l'Homme (Afrique)
Donateur : Marie-Edith de Bonneuil
Description :Deux panneaux composés de piquants de porc-épic posés sur des cadres de bois reliés entre eux, et entre lesquels sont emprisonnées des graines végétales.
Matériaux et Techniques : Bois, corde, piquants de porc-épic, graines
Dimensions d'encombrement (Hauteur x Largeur x Profondeur, Poids) : 2,8 x 26 x 17,3 cm, 190 g



Vous pouvez constater que les musicologues classent ces sympathiques instruments parmi les idiophones par secouement et qu’ils leur ont collé le nom générique de hochet-radeau, au risque de se fâcher avec toute l’île de la Réunion.

J’ai l’air de me moquer des musicologues, mais en fait, je les aime beaucoup et je leur dédie cette magnifique photo d’un mkayamba acheté au marché de Coconi à une marchande qui le tenait d’un artisan de Sada dont je n’ai malheureusement pas noté le nom.



Le cadre est en nervure de palme de cocotier, les parois semblent être en tiges de fleurs de canne à sucre et les graines sont de jolies graines noires et rouges appelées ici Yeux du Diable.