En ce moment cela chauffe à Mayotte. Les syndicats et des associations de consommateurs ont lancé une grève générale contre la vie chère. Ce mouvement de protestation entre dans sa troisième semaine. Les manifestants, de quelques centaines à un millier, défilent tous les jours dans Mamoudzou en veillant à ce que tous les magasins soient fermés.
La grève dont tout le monde pâtit est largement soutenue par toute la population et par les élus. C’est en fait une grosse crise sociale qui couve depuis trente ans. Cette crise, chacun l’exprime avec les moyens dont il dispose. Les plus cultivés font des discours argumentés et chiffrés : « 2 % de la population détiennent 98 % des richesses de l’île ». Les moins cultivés, souvent de jeunes enfants, font des barrages sur les routes et caillassent ou rançonnent les automobilistes.
Il y a donc simultanément une lutte syndicale assez structurée et remarquablement bon enfant, j’admire le calme et l’humour des Mahorais en ces temps de tensions, et une jacquerie qui frôle parfois la guérilla ethnique. Comme le disait, en le déplorant, ce matin à la radio Raos, troisième vice-président du Conseil Général à qui j’emprunte l’adjectif ethnique : « (Si l’État n’écoute pas les revendications légitimes des Mahorais) ce sont les mzungu qui vont s’en prendre plein la gueule ». Je cite de mémoire, il a pu dire métropolitains à la place de mzungu, ce qui est parfaitement synonyme, mais le plein la gueule est resté clair et net dans ma mémoire de mzungu qui partage tout à fait une grande partie de son analyse.
Rond-point SFR
Il semble que les affrontements violents sporadiques ont été suscités ou en tout cas exacerbés par le comportement inadapté et perçu comme provocateur de ce qu’il est convenu d’appeler les « forces de l’ordre ».
Mayotte est le territoire français où la vie est la plus chère et où les salaires sont les plus bas. C’est aussi très certainement le département le moins développé pour ne pas dire le plus laissé à l’abandon. Cela fait plus de trente ans que cela dure, trente ans que les Mahorais ont voté pour intégrer la République française alors que les trois autres îles des Comores choisissaient l’indépendance. Trente ans que l’État français leur a fait miroiter le statut de département, trente ans qu’ils vivent dans un cadre juridique et social au rabais et on leur dit qu’il faudra attendre encore vingt ans pour que la situation se normalise, qu’ils toucheront, par exemple, l’an prochain le RSA à 25% de ce qu’il est en métropole alors qu’ici la vie est bien plus chère qu’en métropole et le chômage plus important. Bref, trente ans qu’on se fout de leur gueule, s’il faut dire les choses un peu crûment.
Si l'on pense que j'exagère, il suffit de venir à Mayotte constater l'état des infrastructures. En trente ans, on pouvait certainement faire beaucoup mieux.
Alors, si l’on n’est pas très cultivé et qu’on ne sait pas faire la différence entre l’État français et le mzungu qui passe dans sa voiture, on peut être tenté de lancer une pierre sur la voiture. Notez cependant que mon voisin mahorais s’est pris lui-même une pierre sur son bras tranquillement accoudé à la portière de sa voiture. Quand on n’est pas cultivé, qu’on est plutôt misérable et en colère, une voiture qui passe c’est déjà une provocation. La jacquerie, ce n'est rien d'autre que cela.
Apparemment, les tenants de l’insurrection caillasseuse écoutent depuis hier les appels au calme des syndicalistes et ont levé les barrages de façon à ce que le plus grand nombre puisse se rendre à la manifestation quotidienne. Dans ce cadre, les leaders syndicaux tentent de canaliser les énergies pour éviter les dérapages douteux. Ils s'en sortent plutôt bien. Même chose à la radio où les journalistes de Mayotte Première rappellent aux auditeurs enflammés les règles de la communication et du débat public tel que les fixe la Loi.
Côté manifestations, celle d’aujourd’hui s’est très bien passée, comme celle d’hier, les « forces de l’ordre » s’étant montrées très discrètes.
Voici deux petits extraits vidéo de la manifestation d’hier.
Rond-point de la barge
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Dans ce premier extrait, au rond-point de la barge, le chant est principalement vocalique quoiqu’il me semble qu’il y ait là des phrases dont je ne perçois pas le sens. Notez la richesse de l’accompagnement dans une très grande économie de moyens : battements de mains variés, glissements de pieds, cris modulés et clameurs produisent une hétérophonie pleine de vie qui témoigne de la résolution des manifestantes et des manifestants.
Parvis du Comité du tourisme
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Dans le second extrait, sur le parvis du Comité du tourisme, les manifestantes reprennent, en en modifiant les paroles, une ancienne chanson du groupe Jimawe de Sada (années 80). Voici ces paroles repiquées sur la vidéo avec l’aide d’un ami mahorais et transcrites comme j’ai pu. Si vous pouvez améliorer l’ensemble, n’hésitez pas à me le dire. Ces paroles sont suivies d’une traduction, sans doute améliorable, elle aussi.
Zama za miziga na bunduki
wamama kana mana.
Leo tanafu zija, ziketsia wa madwamana.
Muridza ziwade, rihondro, karina mana,
au runwa, au shizaya. Mamera mwa havi ?
Mamera mwa havi ?
Wahadi raka va nao, harimwa zi biro za vote.
Mamera mwa havi ?
Bwana Purefe na Sodiframu wadugana na maCRS
wakojo urula.
Bwana Zaïdani, wanlisha mavereni maCRS
wakojo urula.
Traduction :
Au temps des canons et des fusils
les mamans n’avaient pas d’importance.
Aujourd’hui que les bénéfices (de la lutte des mamans) sont arrivés,
les responsables sont assis dessus.
Vous nous avez mises au monde, handicapées, amaigries, sans importance, travaillant dans des condition difficiles.
Vous, les maires, où êtes-vous ?
Vous, les maires, où êtes-vous ?
On s’était donné rendez-vous dans les bureaux de vote.
Vous, les maires, où êtes-vous ?
Monsieur le Préfet et la SODIFRAM
sont venus avec les CRS pour nous tuer.
Monsieur Zaïdani, ne nous laisse pas sur les routes
avec les CRS pour nous tuer.
Notons à la décharge des maires qu'ils sont venus à la manifestation, dignement ceints de l'écharpe tricolore, et se sont fait molester par les gardes mobiles, apparemment sans raison. En tout cas c'est ainsi que je l'ai vu rapporté dans un journal télévisé, en Grande-Comore. Les Grands-Comoriens n'en croyaient pas leurs yeux.
Dernière note pour les lecteurs lointains : Monsieur Zaïdani, c'est le Président du Conseil Général.
Encore une fois tu relates vraiment bien les faits! courage pour cette crise! ah oui j'oubliais je viens à Mayotte au mois de mai pendant vos vacs en vacances...
RépondreSupprimerà bientôt
julien.