Le lendemain, jeudi 20, c’était la grande « marche blanche » à la mémoire d’Ali Anzizi. Une marche blanche à Mayotte, ce n’est pas comme une marche silencieuse en métropole, heureusement, c’est moins lugubre. Les gens parlent. Ils disent leur indignation, ils disent leurs craintes et leurs doutes. Ils ne croient pas une seconde que les résultats de l’autopsie, attendus pour le soir, seront honnêtes. Ils parlent de la vie quotidienne devenue très compliquée et évacuent ainsi une partie de la tension qui s’est emparée des esprits. Une marche sans heurts donc, d’environ cinq mille personnes.
Recueillement sur l'ancienne place du marché à l'endroit où est tombé Anzizi (Photo Angélique)
Mais derrière la marche, des jeunes jettent de hâtifs barrages en travers de la rue. Barrages hâtifs car personne ne les tient. Sitôt dressés, sitôt abandonnés. En retournant vers ma voiture, prudemment garée assez loin. Je découvre en travers de la rue principale de Mtsapéré un 4X4 renversé sur le côté. Ce n’est pas une épave traînée au milieu de la chaussée, comme on le voit souvent, mais une bonne grosse voiture pour travailler dans les champs, sans doute l’outil de travail et la fierté d’un cultivateur mahorais.
C’est cela la jaquerie, dont je parlais dans le premier article de cette série, c’est une manifestation spectaculaire d’émotions et de sentiments violents. Ce n’est pas rationnel. C’est un grand diable fâché qui a quelque chose à dire et qui le dit bruyamment dans la langue furieuse et pleine de démesure des diables.
Vestige de barrage dans le sud
Hier soir, le procureur a rendu public le rapport du médecin légiste. La mort a été causée par un embrochement du cœur par des côtes brisées au cours d’un massage cardiaque. Personne n’y croit, mais personne n’y croyait d’avance, et l’avocat de la famille demande une contre-expertise. De toute façon, cela n’explique pas pourquoi le monsieur a eu besoin d’un massage cardiaque.
Contre toute attente, la nuit a été calme et la journée semble l’être également. Aujourd’hui, vendredi 21, les magasins sont à nouveau fermés. Avec un ami, nous sommes allés rendre visite à d’autres amis dans le sud. Nous avons trouvé de nombreux vestiges de barrages sur la route. On peut passer en se faufilant.
Vestige de barrage dans le sud
L’impression que j’ai, après vingt-cinq jours de conflit, c’est que personne ne sait où l’on va. Aucune date de négociation n’est prévue. Le collectif unitaire se lézarde. Les gens sont fatigués. Ils veulent un retour au calme. Mais ils ne veulent pas que l’île ait été plongée dans un tel chaos pour rien. Même si beaucoup condamnent les formes extrêmes que prend la colère, tous trouvent cette colère légitime. S’il n’est pas apporté une réponse juste à cette crise, elle peut donner lieu à de nouvelles explosions violentes. Elle peut tout aussi bien sembler s’éteindre, minée par la disette dont on voit les premiers effets, mais il en restera alors, couvant sous les cendres, un profond ressentiment dont personne n’a rien à gagner.
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