jeudi 31 décembre 2009

Un timbre mahorais (2)


Je vous ai présenté récemment un timbre de Mayotte. En réponse, un lecteur que je remercie vivement m’a envoyé la photo et le commentaire qui suivent :

Le gars sur le timbre est Papa Lamour du village de Mjamawe (Anjouan). Papa Lamour est la star nationale a Anjouan, à Mutsamudu et au village de Mjamawe. Eh oui l’icône de Mayotte est un Anjouannais...

La photo est extraite d’une compile VCD « les meilleurs clips anjouannais 2002 » (ou 2003) produit par Abdoul Latif.


Papa Lamour, Anjouan

J’en suis resté stupéfait. Mais que fait le ministère de l’identité nationale ? Voici des gens que nous payons avec nos impôts pour qu’ils nous aident à rester bien Français, bien identifiables et bien nationaux. Or, non seulement ils n’ont même pas songé à distribuer gratuitement des bérets basques et des baguettes de pain à nous caler sous le bras, mais en plus, ils se montrent assez étourdis pour permettre que la Poste utilise un étranger pour illustrer les arts et techniques traditionnels du dernier-né de nos départements.

vendredi 25 décembre 2009

Concert de Noël


Joyeux Noël à tous !

En cliquant sur la photo ci-dessus, vous aurez droit à un petit concert de Noël.

Le programme est très court, mais il est particulièrement bien adapté à l’occasion puisqu’il s’agit d’une version pour gaboussi d’un extrait de la célèbre cantate BWV 147, dite Jésus que ma joie demeure, de J S Bach.

Puissent ces quelques notes vous mettre de bonne humeur !

mardi 22 décembre 2009

Un timbre mahorais


Il n’y en a que pour les musiciens et pour les mélomanes dans ce blog. Et les philatélistes ! Pourrait-on s’écrier justement. C’est vrai que pris par toutes sortes d’affaires, je les oublie assez facilement. Pourtant, j’ai moi-même collectionné quelques timbres quand j’étais enfant. J’avais une série assez héroïque représentant des blasons, si je me souviens bien, qui me plongeait dans un univers de chevalerie. Mais, j’avais surtout un timbre de Haute-Volta. Je ne sais pas comment il m’était tombé dans les mains. C’était le fleuron de ma maigre collection. Il ne payait pourtant pas de mine. On n’y voyait qu’un homme de Haute-Volta, un rude gaillard, torse nu et l’air assez farouche avec une drôle de coupe de cheveux.

J’avais déjà été sensibilisé par les cauris de la statuette africaine de ma marraine. Je pense que ce timbre constituait le deuxième pas sur le long et périlleux chemin de ma lente africanisation.

J’ai acheté le timbre mahorais ci-dessus sur un marché de Noël. Fatou tenait son stand de tissus africains, et moi je lui tenais compagnie en jouant du gaboussi. J’ai fait de grands progrès au gaboussi, au balafon et au djembé en tenant compagnie à Fatou sur les marchés. J’ai aussi rencontré pas mal de musiciens ou de mélomanes intéressés par mes instruments.

J’étais donc sur ce marché de Noël, pas très loin du stand de la Poste. La Poste à Mayotte, il y aurait beaucoup à en dire, mais je préfère éviter, comme j’évite d’y aller. On peut pourtant y faire des rencontres agréables car on a vraiment le temps d’y discuter avec une foule d’usagers qui prennent leur mal en patience avec une profonde philosophie et un grand sens pratique.

J’étais donc à côté du stand de la Poste quand la postière qui avait déjà essayé de me vendre toutes sortes d’enveloppes et de colis prépayés me fait un petit signe de la main, comme les vendeuses à la sauvette du métro Château-Rouge qui semblent cacher de la cocaïne sous leur manteau quand elles ne vous proposent que d’innocents safou dont la saveur aigrelette, une fois qu’on les a fait bouillir, est une fête pour le palais. Elles le font sous le manteau car on les pourchasse et on serait tout à fait prêt à les reconduire à la frontière pour cette intolérable atteinte à l’ordre public. Qu’est-ce qu’on est devenu ? Un jour, avec cette paranoïa xénophobe, j’ai bien failli me mettre en difficulté avec un vendeur de cocaïne que j’avais pris pour un marchand de safou.

Et la postière dans tout ça ? Avec des airs mystérieux, elle m’avait attiré pour me montrer ce timbre. J’étais ferré. Celui-là, il fallait que je l’achète. Elle le savait, un Mzoungou qui joue du gaboussi, même s’il n’envoie que des mails, un timbre pareil, il ne peut pas ne pas l’acheter. Bien vu.

mardi 15 décembre 2009

Proclamation des résultats du concours organologique

Il y a quelque temps, j’avais proposé sur ce blog une énigme organologique. Il s’agissait d’identifier les deux instruments de musique ci-dessous.

René Lacaille et Bob Brozman

Le jeu était ouvert aux internautes du monde entier. N’importe qui, aimant la musique et capable de lire assez bien le français pour comprendre la question, pouvait avancer une solution.

Eh bien figurez-vous que la seule réponse qui me soit parvenue émanait de Julien, mon voisin le plus immédiat. Il doit y avoir, autour de Mamoudzou, un accroc dans le continuum spatio-temporel qui produit des distorsions sur le web. C’est peut-être dû au taux d’hygrométrie très élevé dont j’ai déjà constaté les effets néfastes sur les véhicules et toutes sortes d’appareils.


La météo d'aujourd'hui

Bravo Julien ! D’une part, tu es le seul à avoir tenté le coup, si l’on ne tient pas compte de quelques malheureux égarés qui n’ont pas trouvé comment on pouvait laisser un message sur ce blog. D’autre part, ta réponse était presque parfaite.

Le premier instrument, tenu par René Lacaille, à gauche, est bien un(e) panduri de Géorgie.
Le second, tenu par Bob Brozman, à droite, est plus délicat à déterminer. Julien propose un tricone, mais tricone, c’est un nom de modèle. C’est vrai que le design de l’instrument que tient Bob Brozman sur la photo est celui des guitares à résonateur de la marque National Reso-Phonic Guitars, modèle Tricone.

Mais l’instrument est petit et n’a que quatre cordes (quand on regarde bien). Cela pourrait donc être un ukulélé à résonateur, s’il a des cordes en nylon, ou un cavaquinho à résonateur, s’il a des cordes en métal. Pour trancher, j’ai contacté Bob Brozman via son site. Il s’agit bien d’un ukulélé (baryton, car assez gros) à résonateur, réalisé spécialement pour lui par Greg Beeton en Australie. C’est un modèle unique. Ce n’était pas facile à trouver.

Devant la difficulté du cas et l’unicité du concurrent, je déclare donc Julien, mon voisin mélomane qui était si près du but, gagnant incontesté de ce petit jeu-concours international. Il a même droit aux plus vives félicitations du jury. Il a droit également à une petite vidéo musicale car c’était la récompense que j’avais annoncée.

Je me suis cassé la tête pour trouver quelle vidéo dédier à Julien. Et puis, nous avons eu à l’IFM un module « expression » dont l’objet est d’amener nos stagiaires à faire appel à toute leur créativité pour concevoir un spectacle clôturant un trimestre bien rempli.

Il y a eu de tout, théâtre, marionnettes, masques, théâtre d’ombres filmé, vidéo. Le ton, volontiers irrévérencieux, allait du pastiche potache, dont je ne renie pas le charme indubitable, à une poésie cinématographique burlesque ou émouvante. Bref, deux semaines d’un travail souvent acharné pour produire une joyeuse matinée de saturnales où l’élève moquait le maître, et le contribuable, l’élu. Nous étions souvent dans la veine de la longue tradition qui passe par Villon, Rabelais, Molière et les Guignols d’Abidjan. Les Guignols d’Abidjan sont très connus ici et les Mahorais (comme les Anjouanais) les apprécient autant que moi. En métropole, ces DVD pittoresques se vendent dans toutes les boutiques africaines, de l’épicerie au salon de coiffure, ou sous le manteau, pour les versions pirates.

Course de mobylettes

Dans ce fourmillement de piques et de satires, j’ai retenu pour Julien, une vidéo présentant le regard gentiment moqueur que les stagiaires portent sur leurs cours d’éducation musicale. Je crois y percevoir par endroits la réminiscence d’un vrombissement de mobylettes qui nous avait servi l’an dernier à isoler des harmoniques lors d’un travail sur le chant diphonique.

Dès que Blogger, qui est capricieux depuis deux jours, aura fini de bouder, vous verrez cette vidéo en cliquant ici.

vendredi 4 décembre 2009

Langa

Langa

J’ai une amie qui effectue un travail de recherche ethnomusicologique sur le mgodro. Le mgodro, c’est le genre le plus populaire de la musique mahoraise. C’est la signature musicale de Mayotte. On entend du mgodro, on se dit Ah ! ça c’est Mayotte !

Après, si l’on veut définir précisément en quoi cela consiste, cela devient plus compliqué. Vous savez comment sont les mzoungous, comme ils aiment tout comprendre avec leurs têtes de mzoungous. Même la musique qui ne demande qu’à nous faire danser, ils ne sont contents que quand ils l’ont bien décortiquée, analysée, étiquetée, classée… Ils ne s’arrêteraient jamais.

Enquêteuse

Je parle bien sûr des mzoungous les plus affirmés dans leur mzoungouité. Tous ne sont pas aussi enflammés dans leur soif de tout comprendre et de tout maîtriser mais cette passion, me semble-t-il, est toujours au moins latente, même chez le mzoungou le plus innocent, même chez le plus anodin. C’est culturel, on a grandi là-dedans. Je dis « on » car, bien entendu, je suis moi-même mzoungou et suis par conséquent enchanté que cette amie ait eu la bonne idée de m’entraîner avec elle dans sa quête de l’essence du mgodro.

C’est donc avec un grand plaisir que je l’accompagne, quand l’occasion le permet, dans ses enquêtes. C’est ainsi que j’ai pu rencontrer Langa.

Langa

Langa, à Mayotte, tout le monde connaît. C’est un grand personnage, un des premiers, ou peut-être le premier, à avoir enregistré du mgodro. Tous les musiciens mahorais l’ont reçu en héritage, même les rappeurs ou les rastamen lui doivent des émotions anciennes. Dans l’hagiographie mahoraise, il est le père fondateur, celui qui a fixé le son du gaboussi sur la mythique cassette, à l’époque on écrivait K7, intitulée Gaboussi na m’kayamba. Je ne sais pas de quand cela date, mais cela doit être aussi vieux que l’histoire du Bulldozer.

Vous ne connaissez pas l’histoire du Bulldozer ? C’est que vous n’êtes pas Mahorais. La voici telle qu’un sympathique inconnu me l’a racontée par une nuit sans lune sous un réverbère, près de l'embarcadère de la barge :

Au moment de l’indépendance des Comores, y avait pas l’électricité à Mayotte. Le soir, c’était tout noir, pas comme aujourd’hui, on voyait rien. À cette époque, y avait un seul Bulldozer à Mayotte. Dans toute l’île, y en avait qu’un. Il était ici, à Mamoudzou, devant la barge. Un jour, les gens de Grande Comore sont venus avec un bateau. Ils voulaient prendre le Bulldozer pour l’amener en Grande Comore. Ils voulaient pas le laisser à Mayotte. Alors les femmes de Mayotte, les mamans, elles ont démonté le godet du Bulldozer. Elles l’ont démonté et elles l’ont emporté jusqu’à la plage d’Hamouro et elles l’ont laissé là-bas pour pas que les gens de Grande Comore prennent le Bulldozer. Parce que sans le godet, ils pouvaient rien faire avec le Bulldozer. Même maintenant, si tu vas sur la plage d’Hamouro, tu peux voir encore le godet.

Malheureusement, en réalité, le godet n’est plus là-bas depuis belle lurette. Néanmoins, tous les Mahorais que j’ai interrogés connaissent cette histoire qui admet quelques variantes.

Cette époque héroïque, perdue dans la nuit mahoraise, c’est 1976. La cassette de Langa ne peut pas être antérieure puisqu’il n’y avait pas d’électricité.

Les instruments de Langa : mkayamba et gaboussi

En faisant un tour sur www.la-musique-mahoraise.com, j’apprends que la cassette date de 1995 ! La perception du temps est donc, cela se confirme, quelque chose de très relatif. À l’adresse ci-dessus, vous aurez les références de la cassette, que j’imagine introuvable, et des deux CD de Langa dont le premier reprend la cassette dans son intégralité. Vous aurez également un regard mahorais sur le personnage, l’œuvre et la vie de Langa. N'hésitez pas à aller y faire un tour.

Nous sommes donc chez Langa pour essayer de comprendre ce que c’est que le mgodro. Mon amie se débrouille plutôt bien en shimaoré. Il y a également parmi nous un traducteur. Pourtant, nombre de questions restent sans réponses. C’est en fait une confrontation de deux univers, une pratique intuitive d’une musique transmise oralement face à une recherche musicologique nécessairement perçue comme incongrue.

À un moment, nous lui proposons que je joue quelques bribes de morceaux mahorais que j'ai pu glaner pour qu’il nous dise s’il considère que c’est du mgodro ou non. Je sors donc mon gaboussi de sa housse et me mets à jouer. Jouer du gaboussi devant Langa, c'est comme dire la messe devant le Pape. Franchement, je suis au sommet de ma carrière de mélomane-chercheur, je vois mal ce que je pourrais faire de plus par la suite.

Le premier morceau fait un flop assez lamentable. Langa reste de marbre sur sa chaise en nous disant que ce n’est ni du mgodro ni je ne sais plus quoi d’autre. Pourtant je trouvais que cela avait fière allure.

Dès les premières notes du second morceau, il s’anime, se lève et secoue son mkayamba en dansant. Aucun doute, c’est bien du mgodro. Même chose pour le troisième morceau qui a pourtant un rythme très différent. La question du rythme n’est donc pas aussi évidente qu’on aurait pu le croire.

Sur le chemin du retour, en voiture, mon amie propose comme première ébauche de définition : Le mgodro, c’est ce qui fait danser Langa.

Langa chantant une ancienne chanson


Langa jouant du mkayamba


Pour voir de très belles photos de Langa, vous pouvez aller faire un tour sur Iloni : le blog de Sev et François. Vous y trouverez également un lien vers un article très intéressant, sur le blog de Marcel, consacré à Langa. Qui est Marcel ? En suivant les liens, vous en saurez presque autant que moi, ou plus.

mardi 1 décembre 2009

Concert à Musical Plage

Nidou et son groupe (vue partielle). Photo Christos

J’ai évoqué, il y a quelque temps, un concert à Musical Plage, et puis le temps a passé comme il a coutume de faire. Je me suis retrouvé dans le grand tourbillon des choses, des gens et des belles éventualités qui ne demanderaient qu’à se concrétiser si je me laissais prendre par d’autres tourbillons qui me tendent les bras. Il y a tellement de choses à faire à Mayotte, pour peu que l’on n'ait pas peur de mouiller sa chemise, ce qui est une crainte assez vaine, car quoi que l'on fasse, on est tout de suite en nage. Alors autant voir grand. Il y aurait tant de romans à écrire, de tableaux à peindre, de films à tourner...

Cependant, je vois bien, avec le recul, que plus le temps passe, avec toutes ses urgences, plus il me sera difficile de raconter ce concert et je devrais vivre avec le regret de vous avoir parlé des Wailers que je n’ai pas vus et de ne pas avoir pris le temps de vous présenter Nidou et son univers coloré.


Nidou et son groupe (détail 1). Photo Christos

C’était un petit concert comme on en rate souvent parce qu’on ne découvre l’information qu’après coup, quand il est trop tard et que le concert, dont on vous dit qu’il était super, est fini depuis bien longtemps. Ce coup-ci, la chance était de notre côté car nous l’avions su avant.

Il y avait donc un concert chez Nidou, à Musical Plage. Nidou c’est un musicien, auteur compositeur qui a une petite gargote au bout de la plage, du côté de Bandrélé. Ce n’est pas cher et on y mange bien.

Nidou. Photo Christos

Quand nous sommes arrivés, il y avait un trio de Mahorais qui avaient déjà commencé : Un chanteur au gaboussi, un batteur et un joueur de mkayamba qui faisait une deuxième voix. Le type jouait du gaboussi de façon très mélodique, à la malgache, des petites ritournelles syncopées, jouées avec tous les doigts, et qui tournaient à merveille. Il y avait encore peu de public et personne pour me dire qui c’était. J’ai fini tout de même par apprendre qu’il s’appelait Soundi.

Soundi. Photo Christos

Malheur ! Je n’avais ni caméra ni appareil photo, il vous faudra donc me croire sur parole. Heureusement cependant, parmi les spectateurs, je découvre Christos dont je sais qu’il aime bien faire des photos. Il est venu, lui aussi, les mains dans les poches, mais comme il n’habite pas très loin, devant mon air dépité, il retourne chercher son appareil photo. C’est grâce à lui que vous avez des images. Il a mitraillé toute la soirée.

Entre deux sets, je discute un peu avec Soundi et je comprends que c’est lui le foundi de Chirongui qui fabrique des gaboussi ainsi que les dzendzé ya shitsuva pour Diho et ses élèves. Je l’ai revu depuis à Chirongui. Je vous en parlerai plus longuement bientôt et je compte bien vous le faire écouter.

Nidou et son groupe (détail 2). Photo Christos

Après Soundi, il y avait Nidou et son groupe. Nidou chante en jouant de la guitare. Il doit aimer les mélanges parce qu’il a mis un peu de tout dans son orchestre : Trompette, sax, percussions, basse et trois jeunes filles qui font les chœurs. Ça aussi, il faudra que je vous fasse entendre. C’est très construit et cela sonne plus africain que mahorais. Les choristes utilisent des mbiwi, c’est la première fois que j’entends des mbiwi hors du cadre traditionnel.

Family Skank. Photo Christos

Pour terminer, il y avait Family Skank, un groupe de mzoungous qui font du ska. C'est sûr qu'ils connaissent leur affaire, mais là, malheureusement, je dois dire que ce n’est plus de mon âge. C’est apparemment une histoire de tonicité des muscles du mollet. Je peux danser le mgodro et de nombreuses autres danses compatibles avec mon approche free style de l’art de la danse, mais deux danses au moins me sont interdites : La salsa que j’adore, mais qui demande une latéralisation tout à fait hors de ma portée et le ska dont le sautillement rapide aurait vite fait d’achever le vieux bakoko que je suis devenu.