vendredi 4 décembre 2009

Langa

Langa

J’ai une amie qui effectue un travail de recherche ethnomusicologique sur le mgodro. Le mgodro, c’est le genre le plus populaire de la musique mahoraise. C’est la signature musicale de Mayotte. On entend du mgodro, on se dit Ah ! ça c’est Mayotte !

Après, si l’on veut définir précisément en quoi cela consiste, cela devient plus compliqué. Vous savez comment sont les mzoungous, comme ils aiment tout comprendre avec leurs têtes de mzoungous. Même la musique qui ne demande qu’à nous faire danser, ils ne sont contents que quand ils l’ont bien décortiquée, analysée, étiquetée, classée… Ils ne s’arrêteraient jamais.

Enquêteuse

Je parle bien sûr des mzoungous les plus affirmés dans leur mzoungouité. Tous ne sont pas aussi enflammés dans leur soif de tout comprendre et de tout maîtriser mais cette passion, me semble-t-il, est toujours au moins latente, même chez le mzoungou le plus innocent, même chez le plus anodin. C’est culturel, on a grandi là-dedans. Je dis « on » car, bien entendu, je suis moi-même mzoungou et suis par conséquent enchanté que cette amie ait eu la bonne idée de m’entraîner avec elle dans sa quête de l’essence du mgodro.

C’est donc avec un grand plaisir que je l’accompagne, quand l’occasion le permet, dans ses enquêtes. C’est ainsi que j’ai pu rencontrer Langa.

Langa

Langa, à Mayotte, tout le monde connaît. C’est un grand personnage, un des premiers, ou peut-être le premier, à avoir enregistré du mgodro. Tous les musiciens mahorais l’ont reçu en héritage, même les rappeurs ou les rastamen lui doivent des émotions anciennes. Dans l’hagiographie mahoraise, il est le père fondateur, celui qui a fixé le son du gaboussi sur la mythique cassette, à l’époque on écrivait K7, intitulée Gaboussi na m’kayamba. Je ne sais pas de quand cela date, mais cela doit être aussi vieux que l’histoire du Bulldozer.

Vous ne connaissez pas l’histoire du Bulldozer ? C’est que vous n’êtes pas Mahorais. La voici telle qu’un sympathique inconnu me l’a racontée par une nuit sans lune sous un réverbère, près de l'embarcadère de la barge :

Au moment de l’indépendance des Comores, y avait pas l’électricité à Mayotte. Le soir, c’était tout noir, pas comme aujourd’hui, on voyait rien. À cette époque, y avait un seul Bulldozer à Mayotte. Dans toute l’île, y en avait qu’un. Il était ici, à Mamoudzou, devant la barge. Un jour, les gens de Grande Comore sont venus avec un bateau. Ils voulaient prendre le Bulldozer pour l’amener en Grande Comore. Ils voulaient pas le laisser à Mayotte. Alors les femmes de Mayotte, les mamans, elles ont démonté le godet du Bulldozer. Elles l’ont démonté et elles l’ont emporté jusqu’à la plage d’Hamouro et elles l’ont laissé là-bas pour pas que les gens de Grande Comore prennent le Bulldozer. Parce que sans le godet, ils pouvaient rien faire avec le Bulldozer. Même maintenant, si tu vas sur la plage d’Hamouro, tu peux voir encore le godet.

Malheureusement, en réalité, le godet n’est plus là-bas depuis belle lurette. Néanmoins, tous les Mahorais que j’ai interrogés connaissent cette histoire qui admet quelques variantes.

Cette époque héroïque, perdue dans la nuit mahoraise, c’est 1976. La cassette de Langa ne peut pas être antérieure puisqu’il n’y avait pas d’électricité.

Les instruments de Langa : mkayamba et gaboussi

En faisant un tour sur www.la-musique-mahoraise.com, j’apprends que la cassette date de 1995 ! La perception du temps est donc, cela se confirme, quelque chose de très relatif. À l’adresse ci-dessus, vous aurez les références de la cassette, que j’imagine introuvable, et des deux CD de Langa dont le premier reprend la cassette dans son intégralité. Vous aurez également un regard mahorais sur le personnage, l’œuvre et la vie de Langa. N'hésitez pas à aller y faire un tour.

Nous sommes donc chez Langa pour essayer de comprendre ce que c’est que le mgodro. Mon amie se débrouille plutôt bien en shimaoré. Il y a également parmi nous un traducteur. Pourtant, nombre de questions restent sans réponses. C’est en fait une confrontation de deux univers, une pratique intuitive d’une musique transmise oralement face à une recherche musicologique nécessairement perçue comme incongrue.

À un moment, nous lui proposons que je joue quelques bribes de morceaux mahorais que j'ai pu glaner pour qu’il nous dise s’il considère que c’est du mgodro ou non. Je sors donc mon gaboussi de sa housse et me mets à jouer. Jouer du gaboussi devant Langa, c'est comme dire la messe devant le Pape. Franchement, je suis au sommet de ma carrière de mélomane-chercheur, je vois mal ce que je pourrais faire de plus par la suite.

Le premier morceau fait un flop assez lamentable. Langa reste de marbre sur sa chaise en nous disant que ce n’est ni du mgodro ni je ne sais plus quoi d’autre. Pourtant je trouvais que cela avait fière allure.

Dès les premières notes du second morceau, il s’anime, se lève et secoue son mkayamba en dansant. Aucun doute, c’est bien du mgodro. Même chose pour le troisième morceau qui a pourtant un rythme très différent. La question du rythme n’est donc pas aussi évidente qu’on aurait pu le croire.

Sur le chemin du retour, en voiture, mon amie propose comme première ébauche de définition : Le mgodro, c’est ce qui fait danser Langa.

Langa chantant une ancienne chanson


Langa jouant du mkayamba


Pour voir de très belles photos de Langa, vous pouvez aller faire un tour sur Iloni : le blog de Sev et François. Vous y trouverez également un lien vers un article très intéressant, sur le blog de Marcel, consacré à Langa. Qui est Marcel ? En suivant les liens, vous en saurez presque autant que moi, ou plus.

1 commentaire:

  1. bonjour Fatou et Patrice,
    ravie de vous retrouver à travers ce blog, par ailleurs très intéressant;
    je vous souhaite de passer de bonnes fêtes de fin d'année et je vous embrasse tous les deux.
    Agnès, la maman de Julien

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