samedi 10 janvier 2009

Le mystère des mbiwi





J’ai tout de suite aimé les mbiwi. Dès la première fois à l’aéroport, quand je ne savais pas encore si j’entendais cliqueter dans le lointain un tapis mécanique à qui je prêtais des vertus musicales ou s’il s’agissait réellement de musique.

Depuis j’en ai vu et entendu souvent, toujours avec le même ravissement. Je rappelle, pour les nouveaux venus ou pour ceux qui l’auraient oublié, que les mbiwi sont des claves en bambou que les femmes entrechoquent sur un rythme particulier, toujours le même, pour accompagner des chants et des danses.



Sur cette activité exclusivement féminine, se greffent maintenant de bruyants orchestres masculins que les femmes tolèrent pour des raisons mystérieuses que je ne chercherai pas à percer dans l’immédiat.

Le mystère dont je veux vous entretenir aujourd’hui est celui de ce rythme qui me fascine depuis maintenant cinq mois. Les plus attentifs ou les plus mélomanes se souviendront peut-être que ce rythme fait ka-ta-ka-ta-ka, ka-ta-ka-ta-ka, ka-ta-ka-ta-ka…

Écrit comme ça, il n’y a rien de particulièrement fascinant. Et pourtant, derrière ce ka-ta-ka-ta-ka, il y a toute une vie qui bruisse, comme des accents qui se déplacent, c’était ma première hypothèse, un peu brute et qui n’expliquait rien. Quels accents ? et qui se déplacent comment ? Alors j’ai tendu l’oreille, j’ai observé, j’ai expérimenté, j’ai filmé, j’ai visionné et surtout j’ai trouvé des pratiquantes assez patientes pour me montrer comment elles faisaient clac-clac-clac depuis l’enfance sans même y penser.

Après m’être donc longuement penché sur la question, je suis enchanté de pouvoir vous faire part du fruit de mes recherches.

Ce qui fait la magie de ce rythme, c’est qu’on entend ka-ta-ka-ta-ka alors que personne ne joue ka-ta-ka-ta-ka. Jouer ce ka-ta-ka-ta-ka serait d’ailleurs très fatigant, surtout s’il fallait le tenir pendant les heures que durent les séances de mbiwi. Alors les femmes se partagent le travail.

Certaines font clac-clac, clac-clac, clac-clac… Ce sont les plus nombreuses.

D’autres, avec un aplomb déconcertant, font CLAC-CLAC-CLAC-CLAC-CLAC… comme un métronome à ceci près qu’elles font ce qu’on appelle en Guyane, le cheval trois pattes et que les percussionnistes mzoungous, de façon plus technique, nomment le trois pour deux. Celles-ci sont moins nombreuses. Une pour cinq ou six suffit largement pour faire apparaître le ka-ta-ka-ta-ka magique.

D’autres enfin se mettent à l’aise et dilatent l’espace et le temps en faisant d’amples Clac------Clac------Clac… C’est un rythme de soutien qui permet de se reposer un peu.

Apparemment l’ensemble se gère à l’écoute. Chacune appuie plus ou moins son rythme en fonction de ce qu’elle entend de la masse sonore. À l’occasion quelques participantes changent de rythme comme on change de position pour se délasser. Ces changements et l’équilibre instable entre les deux rythmes de base créent un mouvement permanent. Tantôt on entend davantage un rythme, tantôt c’est l’autre et tantôt ils disparaissent tous les deux en se fondant dans un ka-ta-ka-ta-ka parfait.

Voici deux représentations graphiques de cette polyrythmie. La première est une transcription classique pour ceux qui connaissent ce code bizarre qu’on appelle le solfège.



La seconde est plus accessible au commun des mortels. Les traits verticaux représentent la pulsation marquée par les pieds des danseuses. Cette pulsation se décompose en trois parties égales, matérialisées par les pointillés. Chaque petit losange représente un clac des mbiwi. Les trois lignes horizontales de losanges représentent les trois rythmes joués par les femmes. La ligne du milieu représente le fameux cheval trois pattes dans lequel, sur deux pulsations régulières les femmes placent trois clac tout aussi réguliers.



Il serait dommage de parler aussi longuement d’un rythme sans le faire écouter. Voici donc, en cliquant ici, une vidéo où l’on voit assez bien les différents rythmes de base.

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