samedi 1 novembre 2008

Mbiwi



Samedi dernier, nous sommes allés dans le Sud. On dit « aller dans le Sud » comme ci c’était une expédition. Par exemple, Il m’arrive de dire, en cherchant à fixer un rendez-vous : « Non, samedi, ce n’est pas possible, je vais dans le Sud. » Dès lors, mon interlocuteur comprend bien qu’il n’est effectivement pas envisageable de fixer un rendez-vous ce jour-là.

En fait, à vol d’oiseau, le Sud, c’est à trente kilomètres. J’imagine que par la route c’est deux fois plus long, ou peut-être un peu plus. Peu importe car en pratique, on ne compte pas en kilomètres mais en temps.

Depuis Dzoumogné, on met entre une heure et quart et une heure et demie pour aller tout au bout du Sud. On estime que cela n’est acceptable qu’à condition d’y passer la journée. C’est comme un petit voyage. De petites vacances d’un jour dans le Sud. Je suppose que pour les gens du Sud, c’est la même chose quand ils montent dans le Nord.

Nous sommes donc allés dans le Sud pour répéter avec Jeh. Voici une photo de la répétition.




Je ne connais pas grand-chose du Sud car pour l’instant nous n’y allons que pour répéter, à Kani-Kéli, juste à côté de la plage de Ngouja, la plus célèbre plage de l’île que nous n’avons toujours pas vue.
J’en parlerai donc une autre fois.

Aujourd’hui, ce qui m’intéresse, ce que je veux vous raconter, c’est ce que nous avons vu en rentrant à Dzoumogné peu après la tombée de la nuit.

Grands signes d’effervescence dès que nous franchissons le pont de poutrelles qui marque l’entrée du village. Des groupes de gens partout dans la rue, marchant entre les flaques ou plantés devant leurs portes. Des enfants et des jeunes qui courent. Nous passons devant le plateau sportif. Il y a de la musique. C’est vrai, on est samedi, jour de tintamarre. Cependant, aujourd’hui pas de sono tonitruante, on dirait qu’il y a un orchestre et des mbiwi.

Le temps de rentrer à la maison et de décharger les instruments, je redescends pour voir un peu ce qui se passe.

En fait, plusieurs événements se sont télescopés. Il y a ce soir sur le plateau un concours de mbiwi dont je vous parlerai dans un instant. Il semble y avoir eu autre chose dans la journée, du genre récompense officielle, mais je n’ai pas bien compris ce qu’on me racontait dans la cohue du plateau sportif.



Cependant, l’événement majeur qui met le village en liesse, c’est la victoire de Foudre 2000. Vous vous souvenez peut-être de la demi-finale, le jour de l’élection de Miss Mayotte. Eh bien là, c’est la finale ! Foudre 2000, c’est l’équipe de foot de Dzoumogné, je l’apprends à l’instant. Elle vient de remporter la finale régionale du championnat de division d’honneur territoriale en battant Passamaïnty sur le score de 1 à 0.



Avec le bonhomme qui m’explique ça, nous nous tapons dans les mains comme si c’était nous deux qui avions marqué le fameux but.

Nous sommes arrivés après la bataille. L’exaltation est maintenant sur la pente descendante. Le village est toujours animé, mais j’imagine ce que cela a pu être. Tout le village défilant dans la rue principale, à pied ou en voiture. Des cris des chants des klaxons.

Je n’ai jamais été un grand fan de football, mais là, j’ai bien envie de prendre ma carte au club des supporters de Dzoumogné et de me procurer leur maillot rouge avec Foudre 2000 dans le dos et sur le devant : Notre force c’est la solidarité !




J’ai tout d’abord cru que c’était le maillot d’une association à caractère social ou humanitaire ou quelque chose comme ça. Vous imaginez un hurluberlu devant le Stade de France demandant aux supporters, qu’il prend pour des philanthropes enthousiastes : «Qu’est-ce que c’est que ce maillot bleu que vous portez tous ?» Je doute qu'il rencontre autant de patience que j'en ai rencontré chez les supporters de Dzoumogné.

L’étape suivante pour le club, vainqueur de toute l’île, c’est une première rencontre avec une équipe de métropole. J’espère que cette rencontre se fera ici, au plus chaud et au plus moite de la saison des pluies. Non que je veuille faire perdre les métropolitains, mais j’imagine simplement la fête si Dzoumogné gagnait.

Ce jour-là, il y avait donc également un concours de mbiwi. Les mbiwi, c’est une composante majeure de l’âme mahoraise. C’est la première image sonore que l’on découvre quand on descend de l’avion. Ka-ta-ka-ta-ka, ka-ta-ka-ta-ka, ka-ta-ka-ta-ka…

Dans la lente procession des voyageurs attendant leur tour pour montrer patte blanche à la PAF (Police Aux Frontières), ou éventuellement patte noire et passeport étranger, mais alors là, c'est plus long et nettement moins débonnaire, on entendait ce rythme. On ne voyait rien. On entendait seulement Ka-ta-ka-ta-ka, ka-ta-ka-ta-ka... Cela pouvait être le son d'un tapis mécanique en fin de vie ou une manifestation musicale. Dans le doute et par esprit partisan, j'espérais la deuxième hypothèse. Effectivement à l'extérieur du bâtiment, après la PAF, le vrai tapis mécanique et la douane, il y avait, sous un dais, un groupe de femmes entrechoquant des paires de lames de bambou pour accueillir les nouveaux arrivants.



C’est cela, les mbiwi. Ce sont ces sortes de claves plates en bambou. Ce sont, à la fois, les claves et la danse qu’elles accompagnent.

On trouvera mentionné ici ou là que cette danse est exclusivement réservée aux femmes mariées. Mes élèves m’assurent cependant que cette restriction est passée de mode depuis bien longtemps. Toutefois, cela reste une danse féminine. Les deux ou trois hommes que j’ai vus s’y risquer avaient l’air un peu pompettes, pour employer un euphémisme.



Il existe à Mayotte des danses pour la tête, des danses pour les mains ou pour le buste. Les mbiwi sont une danse pour les fesses. Les mêmes élèves, à qui je demandais les critères qu’utilisait le jury pour départager les participantes, m’ont déclaré que si le jury était masculin, il ne tenait compte que des mouvements des fesses. (Quel sexe pervers et lamentable nous formons.) Si le jury est féminin, il peut tenir compte d’autres éléments tels que la beauté des vêtements, la grâce des attitudes corporelles et mille autres choses inaccessibles à la balourdise masculine.



On peut voir un extrait de ce concours de mbiwi sur fond de victoire sportive en cliquant ici.

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