dimanche 5 octobre 2008
La route de l'intérieur
Je suis souvent sur la route, essayant de ne pas trop regarder le paysage et de prendre garde au zébu qui pourrait traverser placidement juste derrière le virage.
J'ai appris récemment que la vitesse était limitée à 70 km/h sur toute l'île. Sage mesure mais peut-être inutile car les occasions d'atteindre cette allure ébouriffante sont assez rares. En effet, les routes sont montueuses, tortueuses et souvent déformées. En général, on roule à 60 km/h, souvent en petits (ou longs) convois car on finit toujours par rattraper plus lent que soi. Là, il faut prendre son mal en patience et pour peu qu'on soit un rien stoïque, on se console facilement en regardant le paysage. À 40 km/h, on ne craint plus grand chose. Gare tout de même au zébu, toujours possible, et à l'imprudent qui s'est imaginé qu'il pouvait doubler dans le virage puisqu'il ne voyait personne en face.
L'accident de la route est la première cause de décès de Mzungu sur l'île. Rien a voir cependant avec nos hécatombes métropolitaines. Cette statistique est d'ailleurs particulièrement trompeuse puisqu'en général, les Mzungu ne meurent pas ici, non qu'ils soient mystérieusement protégés contre les aléas de la vie, mais simplement parce qu'en cas de maladie grave ils sont envoyés à la Réunion ou en métropole.
Pour revenir à la route, les gens d'ici ont une conduite assez insouciante, parfois dangereuse mais plutôt débonnaire. Il semble qu'ils ignorent l'usage du klaxon et de l'insulte. C'est très rafraîchissant. On se cède volontiers la priorité. Pour déboîter d'une file de voitures en stationnement, il suffit le plus souvent de clignoter pour que quelqu'un vous laisse gentiment passer. Même les chauffeurs de taxis font ça. C'est dommage qu'on y pense pas en métropole parce que c'est vraiment pratique.
Cela donne en outre l'occasion de se remercier, de se faire des sourires et des gestes amicaux. Des gestes amicaux entre automobilistes, je n'avais vu ça que dans des romans de science-fiction particulièrement sombres et angoissants où le héros se débat pour échapper à un ordre social aseptisé dans lequel une sorte de bonheur mièvre est obligatoire. Rien de tout cela ici, les gens ne sont pas décérébrés, ils sont simplement gentils.
Bien sûr on peut toujours rencontrer un mufle, mais c'est rarissime. J'ai connu d'autres climats où cela semblait être la norme.
La route que je préfère est celle que je prends pour aller à l'Institut de Formation des Maîtres. C'est celle qu'on voit sur la vidéo si l'on clique ici. Elle ne paie pourtant pas de mine. On y est longtemps loin de la mer, car elle passe par l'intérieur de l'île qu'elle traverse d'Est en Ouest puis d'Ouest en Est après avoir rebondi sur la côte Ouest. Ce n'est pas la route la plus touristique de l'île, pour autant qu'il y ait ici des routes touristiques. Mais c'est une route qui a beaucoup de charme et qui est très parfumée.
On appelle Mayotte l'île aux parfums. Cela fait un peu dépliant touristique mais c'est vrai. L'air est souvent chargé de parfums, surtout d'ylang. Notamment le long de cette route de l'intérieur où des bouffées d'ylang s'engouffrent par les vitres baissées de la voiture.
C'est une route assez peu fréquentée par les taxis si bien qu'on y rencontre de nombreux stoppeurs. Les Mahorais se déplacent beaucoup d'un village à l'autre et le stop est très répandu, très digne aussi. Le stoppeur attend à l'ombre, sur le côté gauche si l'ombre est à gauche. Il prend le temps de bien regarder qui conduit, si bien que souvent son geste, assez discret, ne se déclenche qu'au dernier moment.
En général, je prends tout le monde. Je remplis la voiture comme un vrai taxi de brousse. C'est une sorte de devoir civique. Et puis c'est l'occasion d'apprendre quelques mots de shimaoré, ou de shibushi si je suis vers Akoua ou Mtsangamouji. C'est l'occasion de discuter ou plutôt d'écouter parler. Je ne parle pas beaucoup, sauf si le stoppeur ou la stoppeuse ne parle pas français.
C'est plus souvent les femmes d'ailleurs. Je pense que certaines parlent le français bien mieux que ce qu'elle laissent entendre. Elle doivent jouer à me faire baragouiner en shimaoré, jeu auquel je me prête volontiers, dans l'étroite limite de mes moyens linguistiques.
Le temps de ne rien comprendre à trois questions, d'en faire répéter deux autres, de trouver l'occasion d'utiliser mon maigre stock d'expressions courantes, de rire de mes maladresses et nous sommes arrivés.
Usushuka havi ?
Mukiri.
Mukiri dé havi ?
Vavo... Basi, kwahéri.
Kwahéri, bwéni.
Elle descend, ferme la portière et me dit au revoir d'un signe de main et d'un sourire complice et ensorceleur.
Ces apparitions du bord de la route, je les qualifierais volontiers de renardes, dans le sens chinois du terme, si j'étais bien sûr qu'on n'y voie rien de péjoratif. On trouve souvent dans les contes chinois un lettré, égaré dans la forêt et séduit par une de ces femmes-renardes, sans que le gaillard s'en trouve particulièrement mal, si j'ai bonne mémoire.
Il y a ici aussi cette ambiance de séduction qui est toujours plus ou moins présente. Souvent sous forme de jeu ou de taquinerie. Ce doit être l'ylang qui imprègne tout de son parfum subtil et capiteux.
Puisque nous sommes dans les parfums, permettez-moi pour finir de vous offrir ce quatrain extrait pour vous de Parfum exotique, un sonnet des Fleurs du mal :
Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l'oeil par sa franchise étonne.
Qu'aurait été l'oeuvre de Baudelaire sans son voyage dans l'océan indien ?
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