samedi 18 octobre 2008
Mzungu
Mzungu, Mzungu, j'emploie souvent ce mot sans la moindre explication. C'est regrettable. Voici pour combler ce manque quelques notes que j'avais prises peu après notre arrivée, quand nous n'avions pas encore Internet.
Mzungu, mzungu, c’est le mot qu’on entend partout dès qu’on se promène. Le Mzungu, connu et appelé ainsi dans toute l’Afrique de l’Est, c’est celui qui n’est pas du pays. Ce n’est pas tellement une question de couleur de peau. Nous avons parmi nos voisins un Mzungu algérien et un autre antillais. C’est surtout une question d’étrangéité, d’étrangeté et de porte-monnaie.
En effet le concept de Mzungu se trouve malencontreusement lié à celui d’euro. Un Mzungu, c’est bien souvent des euros à gagner. Même l’EDM (électricité de Mayotte) le sait. Ils ont un tarif spécial Mzungu pour le branchement du compteur. Ce n’est pas présenté comme ça bien sûr, simplement ils proposent un branchement dans les 48 heures moyennant quelques dizaines d’euros de plus. Il n’y a qu’un Mzungu pour accepter ça et je pense que pas un seul Mzungu, après une mauvaise nuit dans l’avion, n’envisage de prendre le tarif de base sans trop savoir quand il aura l’électricité. En tout cas nous n’avons pas fait exception.
En général le Mzungu qui vient travailler à Mayotte touche une prime rondelette qui revient à lui doubler son salaire. Tout le monde le sait. Les marchandes du marché de Dzoumogné qui ne parlent presque pas le français le savent, comme les épiciers de quartier, comme les marchands ambulants, comme les gérants de grandes surfaces ou comme tous les gens qui murmurent Mzungu, Mzungu lorsque nous pointons notre nez. Donc les prix sont multipliés par deux à mesure que le Mzungu s’approche. Franchement, c’est de bonne guerre. Dans notre cas, c’est tout de même délicat car avec mon seul salaire double, nous nous trouvons dans la situation d’un couple d’instits en voyage dans un pays où la vie est terriblement chère.
On parle donc beaucoup d’argent à Mayotte où l’on trouve de tout à toutes sortes de prix. Il y a plusieurs circuits commerciaux qui s’entrecroisent. Certains magasins sont visiblement conçus pour les Mzungu de luxe, ceux qui touchent deux salaires doubles et remplissent leurs caddies au supermarché avec la même désinvolture que s’ils étaient à leur Super U habituel. D’autres magasins reconnaissent l’existence de familles mzungu mono-salariées, d’autres sont à vocation clairement locale (ce n’est tout de même pas donné) et enfin il y a sur les marchés une foule de petits commerçants avec qui il est toujours possible et souvent agréable de discuter. Le prix ne baisse pas forcément mais on échange des plaisanteries et ça c’est vraiment inestimable.
À chaque fois que j’ai dit une blague à un facteur, à un livreur ou à un employé de la compagnie des eaux, j’ai toujours réussi à le faire sourire. C’est loin d’être le cas en métropole où mes blagues tombent en général très à plat quand je m'adresse à un professionnel dans l'exercice de ses fonctions . Je dois avoir un humour tropical. Ou alors, et c’est plutôt ce que je crains, les métropolitains ont très peu d’humour quand ils sont personnellement impliqués dans une situation drôle. Ici, jusqu’à présent, ça marche plutôt bien. Alhamdu lillahi !
J'écrivais donc ceci en août. Depuis j'ai découvert que les Mahorais étaient excédés par le coût exorbitant de la vie. Il y a eu pour cela des grèves et des manifestations. J'ai pu mesurer également une effarante disparité des niveaux de vie. On trouve des gens extrêmement pauvres et cyniquement exploités et d'autres extrêmement riches, bien au-delà de ce à quoi peuvent prétendre les Mzungu qui, même s'ils sont bien payés, restent cependant des fonctionnaires.
Pour terminer sur une note plus divertissante, voici quelques considérations grammaticales. J’écris au pluriel les Mzungu sans « s » mais non sans souffrir dans ma conscience linguistique et je crois que pour avoir l’âme en paix, je vais me résoudre d’ici peu à franciser ce pluriel et adopter la graphie Mzungus. De le voir écrit ainsi, à l’instant, cela me paraît très vilain. Peut-être vais-je oser écrire Mzoungous qui est, après tout une francisation plus cohérente, et pas si vilaine que cela, finalement. C’est le même principe qui est souvent adopté pour la translittération de [bãtu] en Bantou : les Bantous, les langues bantoues. C’est aussi le même principe qui a produit Mahorais pour rendre [maore].
Le pluriel correct de Mzungu est Wazungu mais j’y ai vite renoncé en constatant que j’étais le seul à l’employer. Tous les Mahorais, Anjouanais ou Grands-Comoriens dont j’ai épié subrepticement les usages linguistiques disent sans vergogne les Mzoungous. Peut-être que le mot, désignant les étrangers, a pris lui-même un caractère étranger et a glissé de ce fait hors du cadre foisonnant du système nominal mahorais et de ses pluriels pittoresques.
Il m’était arrivé la même chose à Pékin où je m’étais appliqué quelques jours à dire yi zhang piao (一张票)pour acheter mon ticket de métro alors que tous les Chinois disaient yi ge piao (一个票), traitant avec beaucoup de légèreté des siècles de grammaire pourtant simple et paisible.
Même avec les meilleures raisons grammaticales du monde, on ne lutte pas contre tout un peuple. En tout cas, Lao Tseu aurait recommandé de ne pas lutter.
De même si les Français ont envie d’aller au coiffeur, je peux leur conseiller d’y renoncer pendant mes heures de service. Mais guère plus.
Les photos qui illustrent assez maladroitement ce message présentent des Mzoungous jouant de la musique. Je n'en avais pas d'autres. Je ne peux tout de même pas aller photographier des Mzoungous dans la rue ou sur la plage en leur disant "C'est pour mes amis de métropole."
Sur les photos on voit Gérard et moi à la guitare et Tom au balafon ainsi que René, le meilleur bricoleur du quartier, qui m'aide à rafistoler mon arc musical.
Pour écouter de la musique mzoungoue, il faut cliquer ici.
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Très agréable à lire et très intéressant, comme d'hab !
RépondreSupprimerJuste : Mzungu, en tant qu'adjectif, doit-il conserver son M majuscule ?
Bises du sud de la France (quelque part, dans le Nord)
René
Certes non, en tant qu'adjectif, mzungu (ou mzoungou) s'écrit sans majuscule. Il me semblait y avoir pris garde. J'ai vérifié mais je n'ai pas trouvé où j'avais bien pu laisser passer une telle majuscule. Se pourrait-il que la question soit réellement innocente ? C'est tout à fait incompatible avec son auteur et son esprit facétieux. J'y vois donc un signe de malice qui me réchauffe le coeur.
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