C’était avant la suspension de la grève, en ces temps troublés où il était souvent impossible de circuler.
J’étais sur la plage de Tanaraki.
La veille au soir, un dimanche, J’avais dormi au Coco Lodge à Mtsamboro. Je voulais être dans le nord le lendemain matin, avant les barrages, pour pouvoir visiter une stagiaire dans sa classe.
J’avais pu le faire. J’avais vu la stagiaire et ses élèves, et j’en étais bien content. Je savais que le retour serait une autre affaire. J’avais prévu de la lecture et j’avais emporté un gaboussi pour le cas très probable où je me serais trouvé coincé par un barrage. Dans cette même éventualité, je n’avais pas emporté mon ordinateur portable, préférant rédiger mon rapport à l’ancienne plutôt que voir la précieuse machine disparaître au pas de course entre deux cocotiers. Sage précaution dont je me félicite encore comme on le verra bientôt.
Vue sur Sada et le Choungui depuis la plage de Tanaraki
Je suis donc sur cette plage, sous le grand badamier, à attendre la levée du barrage de Soulou qui ne devrait pas intervenir avant la nuit. Très peu de monde sur la plage. À 13 H, je constate que je suis seul. Les plages désertes, en métropole cela fait rêver. Ici, surtout en ce moment de surexcitation générale, cela peut vite tourner au cauchemar. Il vaut donc mieux éviter. Je prends mon téléphone pour appeler un ami qui habite tout près. Est-ce qu’il veut descendre jouer un peu de musique avec moi ? Est-ce que je monte chez lui ? Nous n’avons pas le temps d’en décider. Sans que j’aie rien entendu, et encore moins vu, quelqu’un dans mon dos m’arrache le téléphone dans lequel je suis en train de parler. Je me dresse d’un bond et poursuis le voleur que je couvre d’imprécations. Je vois bien qu’il court plus vite que moi. De toute façon, je n’ai pas fait dix mètres que deux gaillards sortent des buissons et me barrent le chemin en brandissant d’un air menaçant leurs coupe-coupe.
Il n’est plus question de courir, en tout cas plus dans le même sens ! Le plus proche qui doit être à environ cinq mètres me demande : « Où est l’argent ? » Il semble un peu hésitant. Je lui réponds avec l’air le plus farouche et le plus ferme dont je dispose qu’il n’y a pas d’argent. Ils n’insistent pas et disparaissent dans la brousse.
Je retourne vers les quelques affaires que j’ai laissées sur le sable et je constate qu’en plus de mon téléphone, ils ont réussi à me dérober mon pantalon. Heureusement, il n’y avait rien dans les poches. J’avais mis les clés de la voiture et mon portefeuille dans le sac qui ne paye pas de mine d’où dépasse mon gaboussi. J’attrape d’ailleurs ce gaboussi par le manche pour m’en servir de massue au cas où les voleurs reviendraient après avoir constaté la vacuité des poches de mon pantalon. À ce moment là, franchement je suis très inquiet.
J’avais vu plus tôt dans la matinée que, plus loin sur la plage, quelques mahorais préparaient un voulé. Je vais voir s’ils sont toujours là. Je les trouve et leur dit ce qui vient de se passer. Ils veulent absolument se lancer à la poursuite des voleurs. C’est sans espoir mais enfin, bon, je ne suis plus tout seul et nous prenons ma voiture pour faire deux aller-retour sur la route où, bien sûr nous ne voyons personne. Du coup, ils m’offrent un peu de poisson grillé avec du manioc. Cela tombe très bien car j’avais quitté le Coco Lodge avant le petit-déjeuner et n’avais mangé depuis la veille que quelques biscottes que m’avait données au petit matin une ancienne maman d’élève rencontrée par hasard dans le village de Mtsamboro où je cherchais en vain une boutique ouverte avant d’aller travailler.
Peu après, l’ami à qui j’avais donné mon dernier coup de téléphone, avec ce téléphone là, arrive sur la plage. Il n’avait pas compris pourquoi je ne parlais plus dans l’appareil. Je lui raconte mon histoire. Il me dit « attends-moi là » et s’enfonce dans les broussailles. Il revient peu après avec mon pantalon. Mon pantalon, mais sans la ceinture. Une belle ceinture en cuir que ces misérables avaient dû trouver monnayable.
« Misérables », c’est vraiment le mot qui m’est venu à l’esprit. Comme chez Hugo. Ce n’étaient pas de jeunes voyous arrogants et clinquants comme on peut en rencontrer en ville. Du peu que j’en ai vu, c’étaient plutôt des miséreux entre deux âges et entre deux îles qui devaient survivre en chapardant dans la campagne. Là, ils avaient vu un téléphone dans les mains d’un mzoungou qui leur tournait le dos, seul sur la plage. L’occasion semblait favorable. Ils avaient tenté le coup. Un misérable coup pour de pauvres hères. Ceci dit, si j’avais couru trois mètres de plus, je ne pense pas que ces pauvres hères auraient hésité une seconde avant de m’arrêter d’un vigoureux coup de machette. J’imagine qu’on n’estime le prix de la vie des autres qu’au prix de la sienne.
D’autres amis sont arrivés ensuite, des musiciens qui avaient prévu de répéter sur la plage. Mon histoire a jeté un froid, mais enfin, j’avais récupéré mon pantalon et j’aurais l’air moins cloche le soir devant le barrage de Soulou. Nous avons donc passé l’après-midi à jouer de la musique.
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