lundi 21 juin 2010

Pour faire un dzendzé (recette historique)

Colo Hassani

Marcher le long de la rivière en guettant les bambous
En trouver un qui soit de belle taille et le couper en disant les paroles rituelles
Tailler dans ce bambou un bon morceau dépassant d’une main de chaque côté la longueur d’un entre-nœud
Entre les deux nœuds, pratiquer dans le sens de la longueur une fente étroite qui laissera librement sortir le son

Puis, avec un couteau bien affilé, soulever de longues et fines bandes d’écorce
Bien vert le bambou et précis le couteau
Sous chaque bande, glisser deux petites cales taillées dans des éclats de calebasse
Laisser sécher, longtemps

Quand les bandes d’écorce sont bien sèches, les faire vibrer du bout des doigts de façon à éveiller des échos joyeux au fond de l’âme
Déplacer les petits chevalets en fragments de calebasse jusqu’à obtenir des sons qui se marient bien
Attendre patiemment que doigts et cordes de bambou se soient mutuellement apprivoisés

Laisser passer ainsi des siècles de mystères
Puis, embarquer pour un très long voyage
Voguer longtemps sur l’océan jusqu’à atteindre, un jour, la Grande Île
Débarquer sur l’île avec le bambou musical sous le bras
Laisser passer encore des siècles

Avoir un jour l’idée de remplacer les cordes en écorce soulevée par des cordes en acier
Laisser le cœur bondir de joie en entendant cette cascade cristalline
Un autre jour, imaginer que l’on pourrait remplacer le bambou par une caisse en bois, pratique et prosaïque

Fabriquer ainsi un petit instrument propre à être transporté sur une pirogue afin de charmer les djinns de la mer et de s’assurer une bonne pêche

Pêcheur à Tanaraki

Voguer dans la pirogue entre écume et miroitements
Chanter les airs qui plaisent aux djinns tandis que les doigts courent sur les cordes de la petite cithare

Voguer ainsi jusqu’à la plus proche des Îles-sous-la-Lune
Lentement, avec mille précautions, accoster en frôlant les coraux
Entendre le sable crisser sous la coque étroite de la frêle embarcation et débarquer le cœur léger, l’instrument sous le bras.
Il n’y a pas encore de contrôles aux frontières mais les temps sont tout de même incertains
Il y aura des batailles et des massacres
Essayer de ne pas se faire attraper par les aléas de l’histoire

Laisser passer encore un peu de temps, juste quelques siècles et tout est prêt.

Les Mahorais l’ont appelé dzendzé cette petite cithare qui a tant voyagé depuis les bambouseraies d'Indonésie et de Malaisie pour arriver à Madagascar puis à Mayotte

Quand ils en jouent sous les manguiers aux heures chaudes de la journée
Vos yeux glissent dans un sommeil trompeur et les djinns fatigués font de l’auto-stop
Si l’on a eu le malheur de les faire monter dans la voiture, on peut résister à leur discours fallacieux en n’entrant qu’à peine dans la conversation sous prétexte de bien se concentrer sur la route qui peut être dangereuse avec ses virages et ses zébus. Il me semble que la mention du zébu a un effet apaisant sur certains djinns.

Quand les Mahorais jouent du dzendzé la nuit sous la pleine lune
Les djinns se mettent à danser et le poids de la vie semble s’équilibrer avec le poids de la mort si bien que tout le monde respire, allégé pour un temps.

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