jeudi 6 mai 2010

Shigoma

Les rois de l'azur, princes des nuées


L’espèce humaine, dans son ensemble, est fatigante. N’importe qui, possédant un peu de réalisme et de bonne foi, vous le dira : l’homme est un fardeau pour l’homme. Ceci étant posé, force est de constater que l’âme humaine, dans son ensemble également, est cependant sporadiquement traversée d’éclairs de génie.

Le shigoma, c’est un de ces éclairs de génie de l’humanité. C’est à la fois une danse collective et un chant responsorial. C’est une cérémonie gaie, solennelle et chargée de mystère. C’est la grandeur des Mahorais.

Un éclair de génie

Plutôt que de tourner autour du pot à coups de phrases décousues, il vaudrait peut-être mieux que je décrive ce que j’en ai vu.

Pour danser le shigoma, il faut une grande occasion et une place publique. Il faut aussi un orchestre composé de trois ngoma (tambours à deux membranes) et d’un garandro (tambour métallique, souvent un tambour de machine à laver).

Joueurs de ngoma

Un des ngoma ne joue pratiquement que la pulsation. On l’appelle msindriyo. Un autre développe des cellules rythmiques très variées. On l’appelle fumba. Le troisième est un dori. Il est plus long et plus étroit. Il joue le thème rythmique principal et ses variations qui viennent s’entrecroiser avec celles du fumba.

Joueurs de ngoma

Le décor étant posé et l’orchestre ayant commencé à jouer, les danseurs s’avancent en une longue et lente procession. Autrefois, il n’y a pas bien longtemps, le shigoma était une danse d’hommes. Aujourd’hui, des femmes y participent. Les danseurs sont sapés comme des ministres et les danseuses comme des reines.

Ils avancent en chantant. Leur chant répond au soliste et au chef de chœur qui évoluent à l’intérieur du cercle ou du rectangle décrit par la procession. Ils progressent lentement, légers et majestueux. Ils prennent dignement le temps de faire le tour complet de l’aire de danse. Il s'agit une danse de prestige. Le moindre geste est un témoignage de l’élégance et de la noblesse du danseur qui le fait pourtant modestement. Le jeu veut qu’il se montre à son avantage avec son écharpe, accessoire indispensable, qu’il tient légèrement du bout des doigts. Il le fait gracieusement, le sourire aux lèvres.

Les mouvements d'ensemble sont réglés par le sifflet

Un des danseurs porte un sifflet. Il lui échoit le rôle prestigieux de donner les signaux qui vont déclancher telle ou telle variation dans les pas ou les attitudes des danseurs. On comprend qu’il y a eu derrière tout ceci de nombreuses répétitions.

Sifflet

Une fois le tour effectué, les danseurs s’installent sur un demi-cercle ou un U et continuent à danser et à chanter sur place. Deux ou plusieurs paires de danseurs s’avancent alors au milieu de l’espace libre et font toutes sortes de figures. C’est aussi le lieu de civilités codifiées. Une femme, par exemple, éponge le front d’un danseur … Une autre étale par terre une belle pièce de tissu dont la fonction symbolique reste pour moi assez mystérieuse… Et puis, d’un coup, en mesure et bien calés sur les ngoma, les voici qui font mine de s’effondrer, accroupis, le buste bien droit. Ils remontent aussitôt, puis retombent en suivant un rythme précis.

Danse

Et puis cela s’arrête. Il y a une phrase particulière donnée par les tambours, ou alors c’est le texte du chant, ou les deux. Vu de l’extérieur, pour le mzoungou de passage, tout le monde s’arrête en même temps sans grande raison apparente.

C’est là que je mesure le fossé culturel qui me sépare de mon environnement mahorais. Je vois venir de loin la fin d’une chanson ou d’une symphonie, mais pour le shigoma, il faudra que j’en voie encore beaucoup avant de comprendre comment cela fonctionne. Pour l’instant, tout ce que je vois, c’est que d’un coup le bel agencement se disloque. Les hommes sortent une cigarette et ça discute dans tous les coins jusqu’à ce que les ngoma lancent un nouveau morceau. Chaque morceau dure environ une demi-heure.

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