Cela fait déjà deux semaines que les vacances sont finies. On rentre tôt à Mayotte. Les cours ont repris, et avec eux de nombreuses réunions de concertation et d’organisation. Il n’y a pas là de quoi beaucoup bloguer.
Cependant, je me suis dit que si vous lisez ceci, il est vraisemblable que vous vous intéressez, au moins un peu, à la musique. Et puis à lire ce blog, on croirait qu’ici c’est les vacances toute l’année, on va au concert, on lit des bandes dessinées, on assiste à de curieuses cérémonies, on joue sur de drôles d’instruments, sans parler des plages, des coraux et des poissons… En réalité, c’est un peu plus compliqué que cela. En fait je consacre beaucoup de temps à mon travail dont je ne vous parle pas souvent.
Ma principale tâche, professionnellement parlant, est de préparer des stagiaires adultes, sans aucune formation musicale, à concevoir et à animer dans leurs futures classes des séances d’éducation musicale. Je dispose pour cela, pour chaque groupe de stagiaires d’une quinzaine d’heure par an. Voilà un beau défi, comme on les aime dans notre grande maison !
Le plus simple serait sans doute de plonger ces stagiaires dans un état de transe hypnotique et de leur suggérer qu’ils sont tous depuis l’enfance des musiciens talentueux. Ce n’est malheureusement pas compatible avec notre déontologie qui réclame à grands cris des savoirs maîtrisés et consciemment construits. Alors je leur montre qu’ils ont, sans s’en douter, accumulé un bagage musical qui n’est pas négligeable. Certaines stagiaires, par exemple, déclarent qu’elles n’ont aucune pratique musicale alors qu’elles participent régulièrement à des séances de mbiwi ou à des déba. Je dois donc montrer que le concept de musique est bien plus large et plus sympathique que ce à quoi on le réduit souvent quand on entend "éducation musicale".
Ceci étant posé, il faut parer au plus pressé et donner des outils de survie. J’arrive dans une école où il n’y a pas un seul instrument de musique, qu’est-ce que je peux faire ?
Là, je commence à jouer avec eux, je leur explique que non seulement les écoles ne sont pas équipées, mais que parfois certaines sont aussi très négligées. Il m’est arrivé, leur dis-je, de trouver des plafonds constellés de chewing-gums. Alors, je leur montre comment en tirant sur un chewing-gum collé au plafond, en l’étirant jusqu’au sol et en le fixant vigoureusement à celui-ci, on obtient une sorte de corde verticale tendue entre sol et plafond. Si l’on procède de la même façon avec un second chewing-gum, on obtient deux cordes parallèles sur lesquelles il est facile de jouer. La première fait dong et l’autre fait ding. Cela donne par exemple : [dong-ding-ding dong-ding] [dong-ding-ding dong-ding] [dong-ding-ding dong-ding] etc.
J’appelle cet instrument un cordophone virtuel car, bien entendu, les chewing-gums sur lesquels nous jouons n’existent que dans nos imaginations. Je le prouve d’ailleurs en passant la main au travers des cordes imaginaires. Cela ne nous empêche pas cependant de faire de la musique. On se cale tous sur le même ostinato, par exemple celui de tout à l’heure [dong-ding-ding dong-ding] et l’on joue à inventer des variations, à volonté, chacun pour soi en revenant de temps à autre à l’ostinato.
On peut même faire mieux, pour pouvoir entraîner les copains dans nos variations, nous avons inventé le cordophone virtuel automobile. C’est le même que le précédent, mais avec lui, on peut se déplacer. On peut rejoindre un ou deux camarades, s’amuser à échanger quelques dong et quelques ding puis reprendre sa route, croiser d’autres camarades, échanger quelques politesses musicales, ou quelques engueulade simulées, il en faut pour tous les goûts.
Vous voyez qu’il n’y a pas que les vacances à Mayotte, il y a aussi le travail. Si le travail n’a pas l’air trop fatigant, c’est par choix. Je vous assure qu’on peut faire tout autrement et s’ennuyer prodigieusement en essayant de faire acquérir le vocabulaire de base de l’éducation musicale à des adultes qui n’en voient pas l’intérêt.
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