samedi 26 septembre 2009
Diho
Hier soir, je suis allé à l’école de musique pour voir Diho.
Diho, c’est apparemment le dernier musicien à se servir du ndzendé ya shitsuva à Mayotte.
Le ndzendé ya shitsuva est une cithare sur bâton équipée d’un résonateur en calebasse. « Shitsuva » veut dire « calebasse ». On trouve cet instrument à Madagascar sous les noms de jejy ou de lokanga voatavo, de même qu'en Afrique de l’Est, jusqu’au Congo, où on le désigne de plusieurs façons : luzenze, enzenze…
À Mayotte, où il semble avoir été importé XIXème siècle par les « travailleurs engagés », il est devenu très rare.
Vous avez peut-être remarqué que le terme ndzendzé (ou dzendzé) désigne deux instruments différents : une cithare en forme de boîte et cette cithare sur bâton pour laquelle on précise (ou non) ya shitsuva. Il arrive même que le terme désigne le gabusi. Je ne sais pas si ce dernier usage est admis par les musiciens.
Diho qui a sorti plusieurs disques et joué avec toutes sortes de musiciens talentueux consacre pas mal de temps et d’énergie à faire en sorte que cet instrument ne disparaisse pas. Il anime, à l’école de musique un atelier dans lequel il enseigne, entre autres, à jouer de ce ndzendzé. Pour cela, il est en relation avec un fundi qui lui fabrique des ndzendzé pour ses élèves.
Un fundi, c’est un maître. C’est le contexte qui permet de comprendre de quel genre de maître il s’agit. Cela peut être un maître (ou une maîtresse) coranique, un menuisier, un musicien…
Le ndzendzé ya shitsuva qu’utilise Diho, comme ceux qu’il fait fabriquer pour ses élèves, comporte des chevilles pour accorder les trois cordes. C’est une innovation très pratique dont les modèles traditionnels étaient dépourvus comme vous pouvez le voir sur l’illustration ci-dessous.
En cliquant ici, vous pourrez voir et entendre Diho chanter en s’accompagnant au ndzendzé ya shitsuva comme il le fait à l’école de musique. Pour d’autres informations sur Diho, discographie, photos, fichiers audio… Voici un lien vers sa page Myspace.
Pour ceux qui s'intéressent aux détails techniques, voici comment on accorde le ndzendzé ya shitsuva :
Sous l’instrument, la fondamentale, jouée à vide par le majeur de la main droite. Sur l’instrument, la seconde majeure, jouée à vide par le pouce gauche. La troisième corde, jouée par le majeur droit, est la tierce majeure. C’est la seule représentée sur le dessin ci-dessus. Elle passe au-dessus des trois touches crénelées qui permettent d’obtenir la quarte, la quarte augmentée et la quinte.
En Do, cela donne : Do (à vide), Ré (à vide), Mi (à vide), Fa (1ère touche), Fa♯ (2ème touche), Sol (3ème touche).
Diho accorde sa fondamentale sur un Mi.
mercredi 16 septembre 2009
Pouce, masque et brique mahoraise
Hier, j’ai participé à un atelier d’écriture. Il s’agissait de nous entraîner à gérer un tel atelier destiné aux stagiaires de l’IFM. À un moment, le collègue qui animait la séance nous a proposé d’écrire, sans réfléchir ni nous arrêter, tout ce qui nous passait par la tête jusqu’à ce que lui-même mette un terme à l’exercice. Nous ne savions pas combien de temps cela allait durer. Il fallait juste écrire, écrire, écrire… quitte à dire qu’on ne savait plus quoi écrire, quitte à tourner en rond, quitte à se répéter… Surtout ne pas s’arrêter.
Puis il nous a dicté les premiers mots :
"Le pouce de la main avec laquelle je n’écris pas… "
Et là, il nous a dit de continuer. J’ai regardé ce pouce et j’ai pensé que j’avais là le prochain message pour ce blog qui végète un peu depuis la rentrée. C’était aussi rendre justice à ce pouce que de raconter son histoire, à toute vitesse, avant que le collègue ne m’arrête. Voici donc ce que j’ai écrit :
"Le pouce de la main avec laquelle je n’écris pas m’a servi, il y a quelque temps, il y a en fait près de deux mois à tenir un clou tandis qu’avec l’autre main, celle avec laquelle j’écris en ce moment, je tenais un marteau trop petit pour la tâche que je m’étais proposée.
Il s’agissait de planter un clou à béton entre deux briques mahoraises du grand mur de notre escalier afin d’y accrocher un masque africain. Je plante toujours les clous dans les joints entre les briques car celles-ci sont trop friables et se brisent au moindre choc. Mon pouce, lui, a tenu le coup. Il ne s ‘est pas brisé, mais il s’en est peut-être fallu de peu.
Le marteau, comme je l’ai dit, était trop petit. J’avais avec un grand sourire de soulagement laissé tous mes outils en métropole. Je m’imaginais peut-être qu’à Mayotte je serais libéré des contraintes de la vie matérielle et n’avais donc emporté que ce petit marteau et une visseuse toute neuve.
Un marteau, donc, trop petit et un clou qui ne voulait pas s’enfoncer. Il a bien fallu que je cogne avec une vigueur croissante jusqu’à ce que, par manque de concentration, je finisse par taper sur ce pouce plutôt que sur le clou. Je crois que je n’ai pas juré. Cela me paraît improbable, pourtant, il me semble bien ne pas avoir juré. J’avais, bien entendu, très mal au pouce. L’ongle était en place, mais ces choses-là évoluent souvent de façon déplorable. J’ai tout de même poussé un cri de douleur, ça y est, je m’en souviens, mais rien de plus.
J’ai posé le marteau et suis allé placer le pouce en question sous le robinet de la cuisine. J’ai laissé couler l’eau froide dessus en visualisant toutes sortes d’images apaisantes tout en me récitant le roi des mantras, le Aum, Aum, Aum… que j’utilise volontiers en guise de cachet d’aspirine. Je dois dire que cela marche plutôt bien. J’ai même un jour étonné un dentiste par ma capacité à endurer patiemment ses efforts infructueux. Cela n’a pas toujours été le cas, c’est une technique que j’ai apprise. Quand la douleur s’est calmée, après m’être promis d’acheter au plus vite de l’arnica, j’ai fini d’enfoncer le clou d’une seule main et j’ai accroché le masque africain. Il fait très beau dans l’escalier."
Tout ceci est un peu rapidement écrit, mais cela me donne l'occasion de vous montrer quelques photos de masques sur fond de briques mahoraises, ces briques qui font le désespoir des bricoleurs mais qui sont d'un aspect bien sympathique.
dimanche 6 septembre 2009
Cordophone virtuel
Cela fait déjà deux semaines que les vacances sont finies. On rentre tôt à Mayotte. Les cours ont repris, et avec eux de nombreuses réunions de concertation et d’organisation. Il n’y a pas là de quoi beaucoup bloguer.
Cependant, je me suis dit que si vous lisez ceci, il est vraisemblable que vous vous intéressez, au moins un peu, à la musique. Et puis à lire ce blog, on croirait qu’ici c’est les vacances toute l’année, on va au concert, on lit des bandes dessinées, on assiste à de curieuses cérémonies, on joue sur de drôles d’instruments, sans parler des plages, des coraux et des poissons… En réalité, c’est un peu plus compliqué que cela. En fait je consacre beaucoup de temps à mon travail dont je ne vous parle pas souvent.
Ma principale tâche, professionnellement parlant, est de préparer des stagiaires adultes, sans aucune formation musicale, à concevoir et à animer dans leurs futures classes des séances d’éducation musicale. Je dispose pour cela, pour chaque groupe de stagiaires d’une quinzaine d’heure par an. Voilà un beau défi, comme on les aime dans notre grande maison !
Le plus simple serait sans doute de plonger ces stagiaires dans un état de transe hypnotique et de leur suggérer qu’ils sont tous depuis l’enfance des musiciens talentueux. Ce n’est malheureusement pas compatible avec notre déontologie qui réclame à grands cris des savoirs maîtrisés et consciemment construits. Alors je leur montre qu’ils ont, sans s’en douter, accumulé un bagage musical qui n’est pas négligeable. Certaines stagiaires, par exemple, déclarent qu’elles n’ont aucune pratique musicale alors qu’elles participent régulièrement à des séances de mbiwi ou à des déba. Je dois donc montrer que le concept de musique est bien plus large et plus sympathique que ce à quoi on le réduit souvent quand on entend "éducation musicale".
Ceci étant posé, il faut parer au plus pressé et donner des outils de survie. J’arrive dans une école où il n’y a pas un seul instrument de musique, qu’est-ce que je peux faire ?
Là, je commence à jouer avec eux, je leur explique que non seulement les écoles ne sont pas équipées, mais que parfois certaines sont aussi très négligées. Il m’est arrivé, leur dis-je, de trouver des plafonds constellés de chewing-gums. Alors, je leur montre comment en tirant sur un chewing-gum collé au plafond, en l’étirant jusqu’au sol et en le fixant vigoureusement à celui-ci, on obtient une sorte de corde verticale tendue entre sol et plafond. Si l’on procède de la même façon avec un second chewing-gum, on obtient deux cordes parallèles sur lesquelles il est facile de jouer. La première fait dong et l’autre fait ding. Cela donne par exemple : [dong-ding-ding dong-ding] [dong-ding-ding dong-ding] [dong-ding-ding dong-ding] etc.
J’appelle cet instrument un cordophone virtuel car, bien entendu, les chewing-gums sur lesquels nous jouons n’existent que dans nos imaginations. Je le prouve d’ailleurs en passant la main au travers des cordes imaginaires. Cela ne nous empêche pas cependant de faire de la musique. On se cale tous sur le même ostinato, par exemple celui de tout à l’heure [dong-ding-ding dong-ding] et l’on joue à inventer des variations, à volonté, chacun pour soi en revenant de temps à autre à l’ostinato.
On peut même faire mieux, pour pouvoir entraîner les copains dans nos variations, nous avons inventé le cordophone virtuel automobile. C’est le même que le précédent, mais avec lui, on peut se déplacer. On peut rejoindre un ou deux camarades, s’amuser à échanger quelques dong et quelques ding puis reprendre sa route, croiser d’autres camarades, échanger quelques politesses musicales, ou quelques engueulade simulées, il en faut pour tous les goûts.
Vous voyez qu’il n’y a pas que les vacances à Mayotte, il y a aussi le travail. Si le travail n’a pas l’air trop fatigant, c’est par choix. Je vous assure qu’on peut faire tout autrement et s’ennuyer prodigieusement en essayant de faire acquérir le vocabulaire de base de l’éducation musicale à des adultes qui n’en voient pas l’intérêt.
Cependant, je me suis dit que si vous lisez ceci, il est vraisemblable que vous vous intéressez, au moins un peu, à la musique. Et puis à lire ce blog, on croirait qu’ici c’est les vacances toute l’année, on va au concert, on lit des bandes dessinées, on assiste à de curieuses cérémonies, on joue sur de drôles d’instruments, sans parler des plages, des coraux et des poissons… En réalité, c’est un peu plus compliqué que cela. En fait je consacre beaucoup de temps à mon travail dont je ne vous parle pas souvent.
Ma principale tâche, professionnellement parlant, est de préparer des stagiaires adultes, sans aucune formation musicale, à concevoir et à animer dans leurs futures classes des séances d’éducation musicale. Je dispose pour cela, pour chaque groupe de stagiaires d’une quinzaine d’heure par an. Voilà un beau défi, comme on les aime dans notre grande maison !
Le plus simple serait sans doute de plonger ces stagiaires dans un état de transe hypnotique et de leur suggérer qu’ils sont tous depuis l’enfance des musiciens talentueux. Ce n’est malheureusement pas compatible avec notre déontologie qui réclame à grands cris des savoirs maîtrisés et consciemment construits. Alors je leur montre qu’ils ont, sans s’en douter, accumulé un bagage musical qui n’est pas négligeable. Certaines stagiaires, par exemple, déclarent qu’elles n’ont aucune pratique musicale alors qu’elles participent régulièrement à des séances de mbiwi ou à des déba. Je dois donc montrer que le concept de musique est bien plus large et plus sympathique que ce à quoi on le réduit souvent quand on entend "éducation musicale".
Ceci étant posé, il faut parer au plus pressé et donner des outils de survie. J’arrive dans une école où il n’y a pas un seul instrument de musique, qu’est-ce que je peux faire ?
Là, je commence à jouer avec eux, je leur explique que non seulement les écoles ne sont pas équipées, mais que parfois certaines sont aussi très négligées. Il m’est arrivé, leur dis-je, de trouver des plafonds constellés de chewing-gums. Alors, je leur montre comment en tirant sur un chewing-gum collé au plafond, en l’étirant jusqu’au sol et en le fixant vigoureusement à celui-ci, on obtient une sorte de corde verticale tendue entre sol et plafond. Si l’on procède de la même façon avec un second chewing-gum, on obtient deux cordes parallèles sur lesquelles il est facile de jouer. La première fait dong et l’autre fait ding. Cela donne par exemple : [dong-ding-ding dong-ding] [dong-ding-ding dong-ding] [dong-ding-ding dong-ding] etc.
J’appelle cet instrument un cordophone virtuel car, bien entendu, les chewing-gums sur lesquels nous jouons n’existent que dans nos imaginations. Je le prouve d’ailleurs en passant la main au travers des cordes imaginaires. Cela ne nous empêche pas cependant de faire de la musique. On se cale tous sur le même ostinato, par exemple celui de tout à l’heure [dong-ding-ding dong-ding] et l’on joue à inventer des variations, à volonté, chacun pour soi en revenant de temps à autre à l’ostinato.
On peut même faire mieux, pour pouvoir entraîner les copains dans nos variations, nous avons inventé le cordophone virtuel automobile. C’est le même que le précédent, mais avec lui, on peut se déplacer. On peut rejoindre un ou deux camarades, s’amuser à échanger quelques dong et quelques ding puis reprendre sa route, croiser d’autres camarades, échanger quelques politesses musicales, ou quelques engueulade simulées, il en faut pour tous les goûts.
Vous voyez qu’il n’y a pas que les vacances à Mayotte, il y a aussi le travail. Si le travail n’a pas l’air trop fatigant, c’est par choix. Je vous assure qu’on peut faire tout autrement et s’ennuyer prodigieusement en essayant de faire acquérir le vocabulaire de base de l’éducation musicale à des adultes qui n’en voient pas l’intérêt.
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