jeudi 14 juillet 2011

Le Battle

Le Clan des Zoulous

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J’étais en route pour le 5/5 où se produisait Maxime Perrin, un accordéoniste de jazz, pour un concert unique à Mayotte. C’est tellement rare, ici comme ailleurs, que je ne m’étais pas senti le droit de m’écrouler sur mon canapé et d’y végéter mollement en regardant pour la centième fois les Dream Girls.

C'était le 7 mai, c'est dire si ce post est en retard. Beaucoup de travail en fin d'année et beaucoup de paperasse pour une administration délirante.

Me voilà donc en route pour le 5/5. En passant devant la MJC de Mgombani, je vois du monde partout, comme un attroupement devant le plateau sportif. Ah non ! Ca me revient d’un coup. C’est le Battle Of The Year ! J’ai appris depuis qu’on dit un battle. Moi, j’aurais bêtement dit une battle, mais non non non, quand on s’y connaît en Hip Hop, avec deux H majuscules, sans trait d’union et la casquette de travers, on dit un battle.

J’avais vu dans Tunda qu’il allait y avoir bientôt un événement majeur en matière de culture urbaine. Eh bien apparemment c’est aujourd’hui et je suis déjà en retard pour l’accordéon.

Heureusement l’accordéon aussi est en retard et je commence à me dire qu’après le concert, j’irai quand même bien faire un tour à cette battle, car au moment des faits, je ne sais pas encore qu’on dit un battle. À mon avis, eux aussi, ils seront en retard.


Maxime Perrin

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L’accordéon, c’était super. J’en ai filmé plusieurs morceaux à montrer à mes élèves. Je pense que le vieux Léon de Brassens a dû être content d’entendre ça, depuis son firmament parce que vraiment, ça tricotait. Il est vrai que l’instrument s’y prête. Mais le type connaissait quand même bien son affaire. Un beau timbre de base complété par une ribambelle de pédales lui permettait de voyager dans l’espace et dans le temps, de l’Europe centrale au funk américain en passant par la Corse.

Le mieux c’est de l’écouter en cliquant sur la photo.

Mais le battle, il faudrait tout de même que j’aille voir ce que c’est, ne serait-ce que pour en parler également à mes élèves. Poussé donc par le devoir, mais tenaillé par un sentiment diffus de trahison, je m’éclipse discrètement. Pourvu que ce ne soit pas fini ! Après, il y aura un concert de rap, mais moi, c’est plutôt la danse qui m’intéresse.

J’arrive à Mgombani pendant les délibérations des demi-finales. Beaucoup de monde sur le plateau. Des jeunes surtout et presque exclusivement. Ca rigole, ça discute, ça s’interpelle et ça prend des photos pour immortaliser la soirée. Il y en a qui dansent. Je prends un bout de film : le Clan des Zoulous (ou Zulu Clan, cela semble encore indécis) de Kawéni et de Cavani.


Game over

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Et puis c’est les demi-finales, et puis la finale qui oppose Lil style à Game over. J’arrive à me glisser pas trop loin de la scène avec ma caméra et là, le spectacle est incroyable. D’abord la musique est bien moins nase que ce que je craignais. C’est un funk souvent très honorable et le son est correctement réglé. Je n’aurai pas les tympans déchirés. Mais surtout, les danseurs sont terribles. Pas de filles malheureusement, je ne sais pas s’il y en a eu avant, mais à partir des demi-finales, il n’y avait que quatre équipes de garçons.

Il y a donc sur scène deux équipes qui s’affrontent en dansant. Il y en a une qui vient provoquer l’autre, puis l’autre répond. Cela commence souvent par les plus jeunes de la bande, des petits gamins d’une dizaine d’années, puis tout le monde s’y met. Il y a des effets de groupe, avec des portés et toutes sortes d’acrobaties Et puis il y a des solos qui commencent souvent debout et finissent au sol en tournoiements de toupies qui bondissent et rebondissent. Beaucoup de figures en appui sur les mains. Une maîtrise époustouflante de l’équilibre et de la dynamique. Vraiment un beau spectacle.

Lil style

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Au bout du compte, c’est Lil style qui a gagné, un groupe de Barakani et de Kahani. Le 9 juillet, ils seront dans les arènes de Nîmes pour la finale nationale, si Dieu veut, bien entendu. Un point pour eux, c’est qu’en juillet à Nîmes, il fait chaud, mais pas autant qu’à Mayotte la plupart du temps, si bien que cette petite sensation de fraicheur devrait les booster.

mercredi 27 avril 2011

Les jumeaux divins





Kolosan taillant une cheville de gaboussi


Je revenais de chez Kolosan à Chiconi où j’avais passé la matinée à le regarder terminer un gaboussi. À la sortie de Kahani, une jeune femme me fait signe. Elle va à Mamoudzou. Je peux l’avancer jusqu’à Tsoundzou. Elle monte...

Quelques virages... des bambous... encore des virages... je lui demande si elle connaît Kolosan ? Elle me demande s’il est de Kahani.

Les réseaux de connaissances des Mahorais sont structurés par l’appartenance à tel ou tel village. Il y a le village de la mère et le village du père. On y a des statuts très différents. Et puis il y a les villages où rien ne nous lie et dont, le plus souvent, on ignore tout. Sophie Blanchy décrit très bien cela dans La vie quotidienne à Mayotte.

Donc, elle ne connaît pas Kolosan. Et qui elle connaît, alors, comme musiciens mahorais ? Le premier qui lui vient à l’esprit, immédiatement, c’est Lathéral puis M’toro Chamou et puis toute une ribambelle : Mikidache, Bob Dahilou, Zaïnoun, Babadi… Bo Houss, bien sûr, et d’autres encore dont je ne me souviens plus maintenant. Soundi ne lui dit pas grand chose, mais quand je lui chante « Karamane wala karashindrane, kwaheri, wami nisendra dzangwe », cela éveille en elle un écho lointain.

L’établissement de ce catalogue des musiciens mahorais, associés à leur village d’origine, nous a tenus d’humeur joyeuse jusqu’à Tsararano où je lui dis : « Ici, à Tsararano, il y a Saandati ». Elle acquiesce et me dit : « Et il y a aussi les deux vieux, c’est des jumeaux. Ils sont très vieux. Il y en a un qui est aveugle le jour mais il voit la nuit et l’autre est aveugle la nuit mais il voit le jour. Je ne sais plus comment ils s’appellent. »

J’en reste sans voix. Une longue fréquentation de l’œuvre de Jung a développé en moi un profond respect pour les mythes. Ils viennent de si loin et nous parlent de mondes si souterrains, alors entendre comme ça, entre deux grincements d’amortisseurs, un mythe en train de naître, c’est très impressionnant.

Elle cherche le nom de ces Castor et Pollux de la musique mahoraise « Ah ! Mais comment ils s’appellent ? »

Je lui propose « Langa ? » Elle s’écrie « C’est ça, c’est les Langa ! »

Je ne sais pas si ce mythe est appelé à se développer dans l’imaginaire mahorais, si les Langa serviront un jour à nommer un système double de pulsars en opposition de phase au cœur d’une galaxie lointaine, mais il m’a plongé depuis ce matin dans une profonde rêverie. Preuve de son efficacité en tant que mythe, au moins sur les esprits faibles et enclins à la rêverie.

Langa et bokela par Marcel

Un clic sur la photo pour en savoir plus

Pour ceux qui ne connaissent pas Langa, un mythe vivant, un clic sur le portrait du bonhomme peint par Marcel semble indispensable. Vous atterrirez sur le blog de Marcel que je vous recommande vivement.

Castor ou Pollux ?

Pour ceux qui ne connaissent que vaguement Castor et Pollux, voici leur histoire en deux mots. Léda, la plus belle des femmes de toute la Grèce, épouse de Tyndare, roi de Sparte, se baignait à la rivière quand elle vit un cygne poursuivi par un aigle. Elle sauva le cygne des serres du rapace. Pour la remercier, le bel oiseau blanc se fit particulièrement tendre, si bien qu’à quelque temps de là, Léda pondit deux œufs. Il est vrai que l’oiseau n’était autre que Zeus qui n’en était pas à son premier tour pendable. Le premier œuf contenait Clytemnestre et Castor, enfants de Tyndare. Du second sortirent Hélène et Pollux, tous deux enfants de Zeus. Cette Hélène, plus belle encore que sa mère, c’est celle de la guerre de Troie.

Les Dioscures (Castor et Pollux) par Jean Cocteau

Castor et Pollux eurent une vie palpitante et aventureuse au cours de laquelle rien ne les sépara, pas même la mort.

Voici ce qu’en dit Ulysse en remontant des Enfers où il les a rencontrés :

« Ils restent vivants tous les deux sous la terre féconde ;
Cependant, même là en bas, Zeus les comble d'honneurs ;
De deux jours l'un, ils sont vivants et morts à tour de rôle
Et sont gratifiés des mêmes honneurs que les dieux. »

Odyssée (XI, 301-304). Extrait de la traduction de Frédéric Mugler pour Actes Sud, 1995 (Merci Wikipédia).

samedi 16 avril 2011

Sarandra Beloba



ATTENTION LE CONCERT DU 23/04 INITIALEMENT PREVU A MTSANGA BEACH AURA FINALEMENT LIEU A MTSAMOUDOU.



Ils étaient l'an dernier au festival Milatsika, à Chiconi. Ils reviennent à Mayotte pour quelques concerts, du 22 au 30 avril.

Leur style, originaire du sud de Madagascar, est très différent de celui des grands groupes malgaches qui passent de temps en temps. C'est joyeux, virtuose et très original.

Notez enfin qu'ils fabriquent eux-mêmes leurs instruments et en jouent de façon incroyable.

Mandoliny fabriquée par RIALY Tomboson, leader de SARANDRA BELOBA

jeudi 31 mars 2011

Le Pipa, un cousin chinois





Pipa de la dynastie des Tang (618-907), vu de dos (source : wikipédia)

Le luth piriforme monoxyle (en forme de poire et taillé dans une seule pièce de bois) apparaît en Chine vers le IIe siècle de l’ère commune.


Introduction du pipa en Chine, vers le II° siècle


Il vient d’Asie centrale, sans doute du royaume kushan, en suivant la route de la soie. Il va subir l'influence du barbat persan et devenir vite très populaire en Chine où il supplantera peu à peu le luth à manche long, plus ancien. Sous la dynastie des Tang (618-907), on le trouvera partout, dès qu’il sera question de musique ou de danse. En effet, la Chine des Tang est très cosmopolite et accueille volontiers tout ce qui vient de Perse où d’Asie centrale.

Le terme pipa, qui jusqu’alors désignait indistinctement tous les luths, lui est désormais réservé. Le luth à manche long devient alors le Qin pipa, le pipa de la dynastie des Qin (-221 / -207) ou le ruan (prononcé [ʒuan]) du nom de Ruan Xian, un des "septs sages du bosquet de bambous", célèbres lettrés, plus ou moins taoïstes et amateurs de vin et de musique qui vivaient vers la fin de l’époque de Trois Royaumes (fin du IIIe siècle de l’ère commune).


Ruan Xian, à droite, jouant de l'ancien luth à manche long.Peinture murale sur un tombeau à Nankin. Période du Nord et du Sud (280-316) Photo 维基百科 (Wikipédia chinois)


Dans l’ouest de la Chine, aux portes du désert, tout au bout de la Grande Muraille, à la jonction de deux routes venant d’Asie centrale, il y avait une petite ville de garnison nommée Dunhuang. Tout près de cette ville, au cours des siècles, des pèlerins ont creusé dans le schiste d’une falaise des centaines de grottes pour honorer le Bouddha. On y a découvert des sculptures, des peintures murales, des peintures sur soie, des manuscrits très rares comme, par exemple, une version nestorienne de l’évangile selon St Jean...


Grottes de Dunhuang (Photo : Chine informations)

Ces grottes de Dunhuang sont une inestimable source d’informations sur la Chine et l’Asie centrale du IV° au XIV° siècle. Certaines peintures murales présentent des musiciens. On y voit des orchestres utilisant de nombreux instruments qui jouent pour de hauts personnages du panthéon bouddhiste. On y voit donc bien sûr ces lointains cousins du gaboussi que sont les pipa.

Dans l’une de ces peintures datant des Tang, on voit, au centre de la composition, une apsara danser en jouant du pipa. Dans la mythologie indienne, les apsaras sont les compagnes des dieux ou des démons. Ce sont des créatures merveilleuses qui excellent dans tous les arts.


Dunhuang, grotte Mogao n°112, apsara dansant en jouant du pipa. Période Tang (618-907). Source web inconnue (nombreux sites chinois)

En élaguant un peu dans l’exubérance de la peinture, on voit mieux l’apsara qui danse en jouant du pipa à l’envers, dans son dos et par dessus sa tête. Nous sommes plus de mille ans avant Jimi Hendrix, mais l’idée était déjà là, aux portes de la Chine, aux confins du désert.


Dunhuang, grotte Mogao n°112, apsara dansant en jouant du pipa. Période Tang (618-907)


Les Chinois contemporains sont assez fiers de cette image étonnante. On le serait à moins. Pour la magnifier, ils ont élevé une statue sur la grande place de Dunhuang. Malheureusement, côté vêtements, ils sont nettement plus pudibonds que leurs glorieux ancêtres.


Dunhuang, statue de l'apsara

Un clic sur la photo pour voir et entendre un pipa.

Noter sur la vidéo la taille de l’instrument moderne, sa tenue verticale et le jeu aux doigts, sans plectre.

Pour une description détaillée de l'instrument (en anglais), faites un tour sur l'Atlas of plucked instruments. l'article de l'Atlas contient également un lien vers le site de Liu Fang, célèbre virtuose du pipa (texte en neuf langues, dont le français).

Photo : ATLAS OF PLUCKED INSTRUMENTS

Un clic sur la photo pour aller sur l'ATLAS

mercredi 9 mars 2011

Un gaboussi de Chirontro

Gabusi par Chirontro

Saïd Abassi, dit Chirontro, était, dans les années 90, un célèbre musicien et facteur d’instruments de Domoni (Anjouan). Outre son activité dans les cadres comoriens traditionnels, rumbu et mariages, il a donné des concerts dans de nombreux pays d’Europe et d’Afrique. Aujourd’hui, il semble ne plus jouer qu’en privé.

Son style est très anjouanais, plus oriental que le style mahorais, et moins malgache, même s’il chante parfois en kibushi le répertoire des trumba.

Un clic pour entendre Chirontro



Gabusi par Chirontro

Les gabusi qu’il fabrique, ou qu’il fabriquait, sont remarquables, tant par leur forme que par leur son. Ils sont très étroits, comme leur ancêtre yéménite. Le manche, assez profond et bien creusé, augmente considérablement la taille de la caisse de résonance et donne à l’instrument un volume sonore important. Les deux exemplaires que j’ai pu observer ne comportent pas d’ouïes, ni dans la peau, ni au dos de l’instrument.

Les cinq cordes sont montées en trois chœurs, deux doubles et une simple. Elles sont accordées ainsi, du grave vers l’aigu :

Mi / Fa♯-Fa♯ / Si-Si

Ces cordes sont fixées à un cordier qui forme une protubérance à la base de l’instrument et que le musicien cale sur son avant bras droit pour maintenir le gabusi à l’horizontale quand il en joue.

Le chevalet est en forme de portique japonais dont les deux piliers appuient sur la peau de chèvre. Cette peau est fixée à la caisse par des chevilles en bois.

Cordier et chevalet

La touche est un assemblage de trois fines planchettes, de bois et non de contreplaqué, mises bout à bout.

Le sillet de tête est taillé dans la même pièce que le haut de la touche.

jeudi 3 mars 2011

Répétition sous la pluie

Ahamadi Gougou (centre) et Colo Hassani (à droite)

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Cela faisait des mois que je voulais filmer Ahamadi Gougou en solo ou en petit groupe acoustique. Ahamadi Gougou, c'est un joueur de gaboussi, et aussi de dzendzé. Comme Del, et comme Jimmy, c’est un neveu de Colo Hassani. Je ne le connais pas bien, mais je le croise de temps à autre, toujours avec plaisir car son jeu de gaboussi me plaît beaucoup. Del, que je vois plus souvent, m’avait dit qu'il répétait avec lui et Colo Hassani. Il m'avait indiqué le quartier à flanc de colline où était leur local de répétition. Pour plus de détails, le mieux était de demander sur place.

Arrivé donc sur place, je me renseigne auprès de types qui préparent un voulé devant leur banga. Le voulé, c’est la version mahoraise du barbecue entre amis, et un banga, c’est une cabane de célibataire. Les types sont plutôt étonnés de me voir là, et vaguement réprobateurs. Ils ne me regardent pas vraiment de travers, mais franchement, à leurs yeux, avec ma tête de fonctionnaire de l’État, il est clair que je dois me tromper et qu’il n’y a certainement rien pour moi ici. Cependant, quand je leur parle de Del et d’Ahamadi Gougou, Ils me font un grand sourire et me disent que c’est bien là, un peu en contrebas, dans une maison en construction dont le destin semble être de rester à l’état de projet encore un bon bout de temps. Ils me disent que pour l’instant il n’y a que le fundi. Le fundi, c’est Zama Colo (Tonton Colo), c’est-à-dire Colo Hassani, dit encore Kolosan. Ils ont dû voir dans mon regard un éclair de mélomanie joyeuse car ils me souhaitent un bon après-midi en me recommandant de faire attention dans la descente. Le chemin en terre, plus ou moins taillé en forme d’escalier, est très glissant. Nous sommes en pleine saison des pluies, entre deux averses.

Ahamadi Gougou

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La saison des pluies n’est pourtant pas bien vaillante cette année. Alors qu’en cette période, il tombe normalement une ou deux trombes quotidiennes, en ce moment, il peut passer plusieurs jours sans pleuvoir et les réserves d’eau baissent. Mais là, depuis une bonne semaine, nous subissons de loin les effets d’un cyclone qui tourne dans le Canal du Mozambique et cause de gros dégâts à Madagascar. Nous avons eu droit à de très fortes pluies. En garant la voiture le long de cette petite route très pentue, j’ai essayé d’imaginer diverses possibilités, coulée de boue, affaissement ou glissement de terrain, avant de choisir l’emplacement le plus raisonnable.

Je descends donc le raidillon en m’appuyant aussi dignement que possible sur mon parapluie qui me sert de canne.

Colo Hassani

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Le local de répétition, c’est le soubassement d’une maison en chantier. Quelques chaises, une table basse, une prise de courant pour brancher un petit ampli pour le dzendzé mais, ce jour-là, pas de lumière électrique. Quand il faudra fermer la porte pour se protéger de la pluie battante, je filmerai à la bougie, comme Stanley Kubrick dans les scènes d’intérieur de Barry Lyndon. À part que Kubrick utilisait des milliers de bougies, tandis que moi, je n’en ai qu’une seule. Il en a résulté ces petits films que je vous présente ici et dont j’avoue que je suis assez content. Ils montrent bien l’ambiance de la saison des pluies et l’incroyable optimisme de l’être humain que rien n’arrête dans son désir d'illuminer sa vie en jouant avec des sons savament organisés.

jeudi 20 janvier 2011

Domin ki koné

René Lacaille

Un clic sur la photo et vous êtes sur le site de René Lacaille

Le gaboussi, qui est originaire du Yémen, a pris à Mayotte une couleur très marquée. Il a perdu son caractère oriental qui perdure cependant à Mohéli. À Mayotte, il a pris une teinte plus malgache. Il est aussi étroitement lié à une certaine gamme (mode myxolydien) emblème de Mayotte, de son mgodro et de ses voulé.

Ceci dit, le gaboussi est un luth sur lequel on peut jouer tout ce qui nous passe par la tête. Par exemple il fonctionne très bien dans la musique créole de la Réunion ou de Maurice. En voici une illustration avec Domin ki koné, une très belle chanson de René Lacaille.



René Lacaille, c’est toute l’île de la Réunion qui déborde d’un accordéon. Un accordéon comme on sait le faire sonner dans l’océan Indien. Un accordéon qu’il trimbale à travers le monde et duquel il fait sortir des couleurs très diverses. Ce qu’il fait d’ailleurs avec toutes sortes d’instruments et avec toutes sortes de gens, de Manu Dibango à Bob Brozman.

René Lacaille et Bob Brozman (source web inconnue)

Cette chanson, c’est l’histoire d’un pêcheur ballotté par les flots qui médite sur le caractère aléatoire de la condition humaine :

Domin ki koné kosa va rivé ?
(Demain, qui sait ce qui va arriver ?)

C’est une jolie chanson qui tourne sur trois accords rarement joués au gaboussi et sur un rythme réunionnais, très proche du magandja mahorais. René Lacaille la chante en s’accompagnant à l’accordéon, mais elle sonne très bien au gaboussi. La version que j’en donne, avec l’autorisation très cordiale de l’auteur, est une adaptation personnelle, vous trouverez l’originale dans le CD Patanpo (Daqui/France 1999) et sur la page myspace de René Lacaille.

Un mot sur le rythme et sur sa notation. C’est le rythme qui est aussi bien à la base du séga que du maloya. On le trouve sur tous les rivages du sud-ouest de l’océan Indien. On le retrouve donc à Maurice et on l’entend parfois à Mayotte. Ce n’est pas un rythme typiquement mahorais, mais les mahorais l’aiment bien. Sa particularité, et son charme, est qu’il n’est ni réellement binaire, ni réellement ternaire (certains théoriciens parlent de « trinaire ») si bien que de nombreux mzoungous ou zorey s’arrachent les cheveux pour essayer de le comprendre alors qu’en fait, il est très facile à jouer. D’un point de vue technique, si vous y tenez assez pour lire ces petits caractères, les temps sont divisés en trois de façon assez souple. La figure rythmique de base flotte entre la « croche-deux doubles » qui est trop carrée et le « triolet » qui est trop régulier et ne chaloupe plus. La première note est toujours sur le temps et les deux autres batifolent derrière, plus ou moins serrées, plus ou moins dilatées, papillonnant d’un pôle à l’autre ( « croche-deux doubles » et « triolet ») ce qui permet d'avoir des effets de ralentis ou d'accélérés alors que la pulsation est constante.

Ma notation est donc très arbitraire. Si l’on jouait exactement comme c’est écrit, ce serait assez mécanique et sans doute un peu vilain. C’est le même principe que la notation des croches en jazz qu’on écrit en croches régulières mais que personne n’aurait l’idée de jouer ainsi.

Pour que cela sonne bien, au gaboussi comme à la guitare, il faut que la main droite soit toujours en aller-retour si bien que la croche qui tombe sur le premier temps est jouée en descendant et celle qui tombe sur le deuxième temps est jouée en montant. C’est assez déroutant au début, mais avec un peu de pratique, cela devient naturel.

En cliquant sur l’image, on voit et on entend comment tourne le rythme de base.


Un mot sur les accords. Sur le CD, la chanson est en Do mineur. Les accords sont :

Dom / Rém7♭5 / Sol7 / Dom. C’est la structure très classique Im / IIm7♭5 / V7 / Im

Cela peut se faire assez facilement sur un gaboussi accordé en Sol (Ré Sol SI-Si Ré-Ré), mais cela nous mène un peu loin sur le manche sans frettes et ce n’est pas évident au début. Il est plus pratique de la prendre en La mineur. Si c’est trop bas pour votre voix, vous pouvez déplacer le chevalet mobile, comme le montrent les photos suivantes.


Position usuelle du chevalet


Chevalet déplacé pour rendre le gaboussi plus aigu.


Position du chevalet au repos.
Quand on a fini de jouer, on fait glisser le chevalet
jusqu'à ce qu'il appuie sur le manche et non plus sur la peau
pour éviter de "fatiguer" inutilement celle-ci.


Un clic sur l’une de ces trois photos et vous verrez cela en vidéo.


En La mineur, les accords deviennent :

Lam / Sim7♭5 / Mi7 / Lam


Voici les diagrammes de ces accords :


Lam



Sim7b5


Mi7

Je pense que vous en avez assez maintenant pour vous amuser longtemps. Ce rythme du séga/maloya demande un peu de temps pour être apprivoisé, mais il est ensuite inépuisable et danse tout seul sous les doigts.