La Maria Galanta
Je n’y connais rien en bateau. Pourtant, j’ai lu tous les Corto Maltese. Quand j’étais enfant, j’avais lu aussi l’île au trésor de Stevenson et Naufragé volontaire d’Alain Bombard. Plus tard, j’avais eu la chance de me plonger longuement dans le Journal de bord de Christophe Colomb, un ouvrage que je recommande très vivement à tous les amateurs de poésie fortuite. En outre, j’ai vu quelques films de pirates et je sais faire le nœud de cabestan, un peu par hasard d’ailleurs, car c’est celui que l’on utilise pour fixer les lames des balafons. À part cela j’avoue que le monde des bateaux m’est totalement étranger. Cela ne m’empêche pas de les aimer, bien au contraire.
N’y connaissant rien, je dirais donc que la Maria Galanta ressemble tout à fait à un yacht, au moins quand on est sur le pont. La différence, c’est que j’imagine que sur un yacht on est invité et qu’on y boit volontiers du champagne. Pas de champagne sur la Maria Galanta, et il faut payer sa place. Dans certaines conditions, on peut ne pas payer son billet, mais c’est beaucoup moins drôle. En effet, si vous tapez Maria Galanta dans la boîte de recherche de Google, vous verrez que ce bateau est surtout connu pour le rôle qu’il joue dans les expulsions de clandestins vers Anjouan.
Il en va souvent ainsi à Mayotte, derrière les plus belles images, il y a toujours l’ombre douloureuse de ces crève-misère qui se font expulser et de ceux qui se noient en mer en essayant de revenir. Car ce sont toujours les mêmes qui reviennent, si bien que le nombre des « étrangers en situation irrégulière reconduits à la frontière » dont on tire gloire ici ou là, et qu’on agite comme un épouvantail, est à diviser au moins par deux et sans doute par trois ou plus.
Le voyage en bateau pour aller à Anjouan, c’est aussi cela. C’est être confronté à des questions complexes qui appellent des réponses certainement plus complexes que la politique à courte vue du record d’expulsions à battre qui semble être appliquée actuellement. Je dis "qui semble" car j’ai lu quelque part qu’on s’en défendait en haut lieu. Je dis "à courte vue" car je me demande ce que mon pays peut gagner, sur un plus long terme, à accumuler dans la région tant de ressentiments.
J’ai fait le voyage sur le pont car j’aime le grand air. Nous sommes partis bien plus tard que prévu car nous devions attendre que la PAF ait fini d’embarquer des clandestins expulsés qui arrivaient petit à petit et étaient cantonnés à l’arrière, sur une sorte de pont inférieur. Sur notre pont à nous, il y avait principalement des Anjouanais qui, après des années de tracasseries, avaient réussi à obtenir un titre de séjour, fragile et provisoire, et qui partaient faire un petit tour chez eux. Il y avait également des lycéens qui avaient atteint l’âge de dix-huit ans. Ils n’étaient plus autorisés à vivre à Mayotte et partaient aussi dignement que possible avant de se faire expulser. Il y avait aussi quelques mzoungous en vacances, très peu de mzoungous. Le gros des passagers était à l’intérieur du bateau, sur des sièges semblables aux sièges des avions ou des autobus. Sur le pont, nous disposions d’une grande table conviviale équipée de deux bancs de bois, le tout solidement fixé au sol. Je jouais du gabusi à cette table et cela amusait les Anjouanais.
Quand nous fûmes enfin partis, la nuit tombait. Comme je l’ai su dans la soirée, il était trop tard pour espérer trouver quelqu’un pour les formalités douanières et policières à l’arrivée à Mutsamudu et nous allions devoir dormir sur ce bateau balloté par les flots au large de d’Anjouan. Nous avons donc vogué de nuit sans nous presser sur une mer relativement houleuse. Je n'imaginais pas qu'un tel bateau pouvait remuer autant en l'absence de grosses vagues.
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Heureusement, dans le sens Mayotte-Anjouan, les Anjouanais transportent beaucoup de bagages et de cadeaux pour la famille. Ils transportent notamment bon nombre de matelas que les matelots bourrent à l’avant du pont entre le poste de pilotage et le bastingage. C’est un très bon endroit pour s’allonger et regarder les étoiles. Cela demande un peu d'audace et de réflexion car tous ces matelas de mousse, pliés en deux, sont disposés comme les feuilles d’un gros livre reposant sur la tranche, si bien que l’on aurait vite fait, si l’on ne prenait soin de s’allonger en diagonale, de glisser et de se retrouver coincé entre deux matelas comme l’étaient les enragés avant les découvertes de Pasteur.
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