jeudi 19 mars 2009
Cauris (2)
En arpentant la plage, il me semblait que si les cauris avaient encore eu cours, nous aurions eu de l’or sous les pieds. On lit souvent que les cauris africains provenaient des Maldives. Or, je découvre qu’on en récoltait abondamment aux Comores. C’était même au XVIIIème siècle le principal produit d’exportation d’Anjouan. J’ai trouvé cette information dans Comores : quatre îles entre pirates et planteurs, le monumental ouvrage historique de Jean Martin, édité par l’Harmattan.
« Tous les auteurs s’accordent à considérer les cauris comme le premier article à l’exportation. Ces coquillages qui ne manquaient pas sur les rivages et les récifs des quatre îles étaient acheminés par cargaisons entières vers la côte d’Afrique et vers les ports de l'Inde. En 1743, les Anjouanais en demandaient une piastre pour 3 mesures de 1700 cauris chacune. Quelques années auparavant, ils cédaient encore 4 mesures à la piastre. En 1768, Collin de la Briselaine trouvait sur la rade une forte palle appartenant à un Français de Chandernagor et commandée par un Guernesiais qui se préparait à lever l'ancre pour le Bengale avec un chargement de ces précieuses coquilles blanches. »
Aujourd’hui les cauris n’ont certes plus cours dans les échanges internationaux. On affecte de les bouder dans les sphères de la haute finance, mais je soutiens qu’ils ont toujours le même pouvoir évocateur. La petite fente cannelée du moindre de ces coquillages est une porte entrouverte sur un monde de précieux mirages. Ce n’est donc pas de l’or que nous avons sous nos pieds, mais bien un véritable Eldorado.
mardi 10 mars 2009
Cauris
J’ai quatre ou cinq ans. Je suis chez ma marraine dans un petit village perdu tout au fond de la France. Pour vous donner une idée de l’ancienneté des faits, je vous dirai qu’il nous arrivait, avec les enfants des voisins, d’aller à l’école en charrette tirée par un gros cheval de trait. Nous avions un air si ancien, avec nos paletots à capuches dont le denier bouton pouvait servir de sifflet, que nous aurions pu trouver place dans un de ces vieux manuels scolaires tout cornés qui circulaient encore au début des années quatre-vingt et auxquels les élèves ne comprenaient plus rien tant le monde qui y était décrit leur était étranger.
Le salon de ma marraine sent l’encaustique. On n’y pénètre qu’en chaussons. On entend le tac... tac... tac... monotone d’une grande horloge. Entre deux battements, on mesure la profondeur du silence. Je ne m’approche pas trop de l’horloge car je crois qu’un loup habite dedans. Son balancier de cuivre, patiemment astiqué, ressemble à un chat qui me regarde puis se cache, puis me regarde, puis se cache… J’essaie de tromper sa vigilance. Moi aussi, je me cache pour voir ce que fait le chat quand personne n’est là. Mais, à chaque fois je suis repéré, le chat fait semblant de ne pas me voir et continue à se balancer comme si de rien n’était.
La présence du chat ne m’empêche pas de penser qu’un loup vit là-dedans. Ou alors la chèvre et les sept biquets, c’est un peu confus. À ce moment-là, le loup serait plutôt dans le bois de l’autre côté du vallon. Quoi qu’il en soit, je ne m’approche pas de l’horloge.
Dans ce silence encaustiqué, tout chargé de mystère, sur une étagère trop haute pour moi, deux statuettes africaines. Deux personnages immobiles venus d’un autre monde. Ils ont les yeux mi-clos et portent à la taille une ceinture de cauris.
Pour faire un voyageur, il n’en faut pas plus. Prenez un jeune enfant, placez-le dans la pénombre d’une pièce surannée où le silence, l’odeur de la cire et la lenteur du temps sont propices à la rêverie. Placez sous ses yeux, mais hors d’atteinte de ses mains, un objet exotique au charme fascinant. Laissez mijoter.
Les cauris qui ornaient ces statuettes sont de jolis coquillages blancs en forme de grains de café, plus gros cependant que les grains de café, disons gros comme de petites olives. Ces coquillages étaient couramment utilisés comme monnaie ou à des fins magico-religieuses. Ce sont de beaux objets, liés symboliquement à l'univers féminin, dont la contemplation ouvre les portes du monde des rêves, ce qui explique peut-être la double valeur financière et magique qu’on leur attribue. On les récolte dans les zones tropicales de l’Océan Indien et de l’Océan Pacifique.
J’emprunte à deux articles de l’Encyclopedia Universalis les citations en italiques ci-dessous :
Deux types peuvent être distingués : la Monetaria (Cyprea) moneta, utilisée principalement en Asie, et la Monetaria annulus, utilisée sur le continent africain.
La plus ancienne monnaie chinoise connue est constituée par des cauris (donc avant le premier millénaire avant l'ère commune où apparurent les premières monnaies de bronze).
Dans l'écriture chinoise, la notion de valeur est d'ailleurs représentée par l'image simplifiée d'une coquille.
C’est le caractère 貝 (bei) qui a toujours gardé son sens de « coquillage » et que l’on retrouve, par exemple, dans le mot 寶貝 (baobei) qui signifie « trésor », au sens propre et au sens de « petite chérie ».
Cependant les cauris sont surtout connus par l’usage très large qu’on en fit, et qu’on en fait encore en Afrique de l’Ouest, très loin de leur zone de production. Il a donc fallu que ces coquillages traversent à dos d’hommes toute l’Afrique, d’Est en Ouest depuis Zanzibar, avant de venir remplir les coffres des empereurs du Mali.
Ce sont les Arabes qui les achetaient aux Maldives et les revendaient à Zanzibar. Même les Mzoungous s’y sont mis. Si bien que : « en 1699, à Amsterdam, qui était le marché le plus important de ce commerce, des cauris furent vendus pour 192 951 livres hollandaises. »
Aujourd’hui, en Afrique de l’Ouest, outre un usage décoratif très répandu, ils ont toujours une fonction magique, notamment en géomancie. Les devins se servent de cauris qu’ils lancent par terre et dont ils observent ensuite la disposition pour prédire le caractère favorable ou défavorable d'une situation. Ces cauris divinatoires que l’on peut acheter à Paris, au métro Château-Rouge, ont le dos percé de façon bien régulière. Je me demandais comment on faisait pour percer si nettement les cauris. J’ai découvert à Mayotte qu’on en trouvait certains déjà troués sur la plage. En cliquant ici, vous verrez justement comment on trouve les cauris sur la plage.
dimanche 8 mars 2009
Le Kantsa
Beaucoup de choses intéressantes en ce moment. Mbiwi, fête africaine, rencontre de musiciens... et toujours ce travail de fou qui donne à chacune de mes périodes de vacances des airs d'université d'été. À quoi il faut ajouter, beaucoup moins passionnant, encore que cela pourrait l'être si j'avais le temps d'en faire un sujet d'étude, tout un tas de papiers administratifs à traiter qui s'amoncellent sous mon bureau vu qu'il n'y a plus de place dessus, à tel point que j'ai grand peine à déplacer ma souris.
J'ai aussi commencé à graver sur DVD quelques belles tranches de musiques et de danses traditionnelles mahoraises que je destine à mes stagiaires de l'IFM comme à mes petits élèves de Mtsamboro. Pour les mêmes stagiaires, j'ai passé quelques jours à rassembler sept mois de notes et de photos afin de composer un dossier sur les instruments traditionnels mahorais qui, peu à peu, glissent hors des mémoires.
J'ai donc peu de temps pour ce blog qui est pourtant une saine pratique qui me permet de prendre du recul et d'observer avec curiosité ma vie de l'extérieur. C'est, nous disent les disciples du Bouddha, excellent pour cultiver le détachement, ce qui est très utile quand on est naturellement enthousiaste et facilement exalté.
Peu de temps donc, si bien que je puise dans mes réserve, en l'occurence mon mémoire sur les instruments mahorais, et vous offre cet article consacré au kantsa que j'avais de toute façon envie d'écrire pour vous depuis que j'ai fabriqué l'instrument qui est sur la photo ci-dessus. Pour le fabriquer je me suis livré à une pratique condamnable relevant de l'espionnage industriel, mais que j'ai mise au service de la noble cause de la musicologie comparée. Lors d'un fameux concert d'un groupe malgache, en décembre à Tsingoni, j'ai pris en gros plan, avec l'accord du musicien qui m'a regardé comme je regarderais un martien, quelques photos de cet instrument afin d'en faire une copie aussi exacte que possible. J'ai juste mis de la ficelle à la place du fil de fer parce que je n'avais de fil du bon diamètre et que celui dont je disposais se rompait dès que je serrais un peu.
Voici donc un extrait de ce à quoi je passe mes vacances :
"C’est un hochet que l’on trouve dans tous les orchestres malgaches. Il est constitué d’une boîte de conserve dont le haut est soigneusement aplati pour pouvoir être inséré dans un bâton fendu qui sert de manche. La boîte contient de petits cailloux qui viennent heurter la paroi métallique lorsqu’on secoue l’instrument. C’est un instrument très sonore dont le rythme de base inspire les batteurs mahorais. On tient le manche à l’horizontale, de la main droite si l’on est droitier, la boîte vers le haut. En abaissant la main, on frappe une cuisse avec le dessous du manche. La main gauche vient frapper le dessus du manche lorsque l’instrument remonte. Cette technique permet un jeu très fin d’accents et de dessins rythmiques sur un simple mouvement d’aller-retour.
À Mayotte on rencontre le plus souvent une forme éphémère réalisée avec une canette de bière plus ou moins écrasée et dépourvue de manche. Le son est moins puissant qu’avec une boîte de conserve, mais la technique de jeu est la même.
On trouvera une démonstration en vidéo de cette technique ainsi qu’une autre vidéo montrant l’association kantsa / marovany dans le cadre d’un rituel magico-religieux malgache à l'adresse suivante:"
Plutôt que vous donner l'adresse, je vous y envoie directement si vous cliquez ici.
Il faut chercher tout en bas de la page.
Dans la photo ci-dessous, on voit, en action, le kantsa qui m'a servi de modèle.
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