(La nouvelle année nous a trouvés au Mali.)
Pour moi, l’année a commencé par un coup d’éclat grammatical. Réveillé peu avant l’aube par un voisin aux prises avec un grand portail de fer récalcitrant, ainsi qu’avec son camion qui refusait de démarrer, je traînais au lit pour savourer ce début d’année en feuilletant le Cours pratique de bambara du Père Charles Bailleul.
J’avais rêvé de ce bouquin pendant des années, mais il était introuvable, épuisé. Pour apprendre le bambara, les libraires ne proposaient que l’énigmatique J’apprends le bambara du Père José Morales. Énigmatique et passionnant ce J’apprends le bambara car il n’offre que des dialogues en bambara et leur traduction en français, phrase contre phrase. Pour le reste, il faut se débrouiller tout seul. Aucune explication, aucune traduction mot à mot.
Dans l’esprit modeste du père Morales, son ouvrage n’était qu’un complément au Cours pratique de bambara du Père Bailleul. Une fois la leçon étudiée chez Bailleul, il devait en effet être certainement très agréable de trouver des dialogues sympathiques et instructifs sur le plan culturel chez Morales, lequel mettait en scène avec beaucoup de naturel un vocabulaire connu et des points de grammaire précédemment élucidés. Mais le Morales tout seul, c’est comme la pierre de Rosette. J’ai donc appris le bambara comme Champollion déchiffra l’égyptien. À coups d’hypothèses hasardeuses et de patients recoupements. Voici par exemple le début du premier dialogue et sa traduction :
Paul : I ni ce !
Jigi : Nba (nse) i ni ce !
Paul : Falajɛ sira bɛ min ?
Jigi : Aw sera Falajɛ !
Traduction :
Paul : Salut !
Jigi : Salut !
Paul : Où est la route de Falajɛ ?
Jigi : Vous êtes arrivés à Falajɛ !
Fatou m’avait bien expliqué qu’on pouvait saluer en disant I ni ce et qu’alors, les hommes devaient répondre Nba et les femmes Nse. Puis elle était repartie à Paris en me laissant seul avec ce Falajɛ sira bɛ min ? qui signifiait "où est la route de Falajɛ ?" Mais comment dit-on "la route", tout simplement ? Il n’y avait plus qu’à faire des hypothèses. Le bɛ apparaît six fois dans la suite du texte où il n’est plus question de route. Ça ne doit donc pas être lui qui signifie "route". Donc ce serait sira ou min...
Je me souviens d’avoir mis, en tâtonnant, deux semaines pour identifier les pronoms personnels. En fait je me trompais un peu. Je n’avais pas saisi que ces pronoms avaient deux formes possibles. Je l’ai compris quelques mois plus tard, dans le métro, en explorant la Grammaire fondamentale du bambara de Gérard Dumestre que je venais d’acheter chez Karthala. C’était la première fois que je montais voir la famille de Fatou à Paris. J’ai raflé tout ce que je pouvais trouver sur le bambara chez Karthala et à l’Harmattan. Cette Grammaire fondamentale du bambara était une mine d’or pour moi. Tout était là, même les tournures les plus inimaginables. Seul problème, elle ne comporte pas d’index vraiment pratique. Qu’à cela ne tienne, avec un petit carnet répertoire, un stylo et un peu de méthode je me fabriquais mon index.
Le temps a passé et avec l’aide de Fatou et des rares bouquins disponibles je commence à me débrouiller en bambara. J’allais oublier le site de l’université de l’Indiana qui propose une méthode en deux niveaux : Introductory bambara et Intermediate bambara. Les fichiers audio sont téléchargeables gratuitement mais l’on ne peut malheureusement plus commander les manuels sur le site.
Le temps a passé, toujours aussi tourbillonnant. Avec un travail de fou, la découverte de Mayotte, l’apprivoisement du gaboussi et l’étude absorbante du shimaore, j’avais moins de temps pour le bambara. Et voilà que j’ai enfin la possibilité de survoler l’Afrique en diagonale pour aller faire un tour à Bamako.
À la boutique du Musée National du Mali, je suis tombé sur le manuel de Bailleul qui a enfin été réédité. C’est comme ça que le premier janvier 2011, en faisant la grasse matinée, je comprends d’un coup la simplicité du fonctionnent les subordonnées relatives en bambara. Ces subordonnées qui m’avaient toujours semblé nébuleuses et que j’évitais d’employer !
Je n’ai pas fait que de la grammaire au Mali. J’ai joué du gaboussi pour la plus grande joie de ma famille de Bamako et je me suis fait expliquer les rudiments du kamalen ngoni qui est une sorte de kora à huit cordes (harpe-luth) que les Maliens apprécient beaucoup. Même à l’aéroport, à l’embarquement, un cadre du service de sécurité m’a fait des recommandations concernant la pratique de cet instrument. Je lui ai dit avec émotion que je me souviendrai de ses conseils.
J’ai fait aussi un tour en pirogue sur le Niger pour me reposer de la circulation hallucinante qui traverse la ville à toute heure comme un second fleuve intarissable.
Et puis le Musée National du Mali, et puis le marché de Kati d’où nous sommes revenus les pieds rouges de poussière pour ne pas faire mentir le dicton qui dit Kati sen blenni (Kati les pieds rouges), et puis le marché artisanal de Bamako où le toubabou de passage comprend enfin ce que djembé veut dire ! Et puis partout des gens si gentils et si accueillants…
dimanche 9 janvier 2011
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